samedi 4 avril 2009

Projet de Verbum - Soutien à Mgr Tissier de Mallerais pour convertir Benoît XVI à la Foi catholique et lui faire abjurer ses hérésies

Fidèles catholiques, nous dédions le blog VERBUM au soutien à Mgr Tissier de Mallerais dans son projet de convertir Benoît XVI, tel qu’il l’a exprimé le 1er février 2009 à La Stampa :

« Nous ne changerons pas nos positions, mais nous avons l’intention de convertir Rome, c’est-à-dire d’amener le Vatican vers nos positions ». (Mgr Tissier de Mallerais)

Ce projet est pieux et ambitieux, et les arguments de Mgr Tissier de Mallerais, rassemblés dans ses études et travaux publiés, communiqués à tous ceux, clercs et fidèles qui cherchent la vérité, fourniront de puissantes armes pour montrer à Benoît XVI, et aux autorités romaines, la véritable doctrine catholique, et pour œuvrer ainsi au projet de conversion que lance l’évêque français de la FSSPX, visant à ramener Rome à la Tradition.

Notre présent blog VERBUM ainsi transformé et élargi, est dédié au projet missionnaire de Mgr Tissier de Mallerais.

Nous avons rassemblé dans ce but ce premier florilège de déclarations, de prédications et d’études publiques de Mgr Tissier de Mallerais qui peuvent concourir à ce noble dessein.

Nous ne nous interdisons pas d’élargir les colonnes de ce blog VERBUM à d’autres textes qui pourront contribuer à ce projet. Nous espérons en effet être dans un avenir proche en mesure de prendre de nouvelles initiatives, sur le continent Nord américain comme en Europe, dans le but d’apporter un soutien plus efficace à l’entreprise énoncée par Mgr Tissier de Mallerais dans La Stampa, visant à convaincre les autorités conciliaires de leurs erreurs doctrinales.

Groupe Episcopus

jeudi 12 février 2009

Etats-Unis - Mgr Tissier : "Lire Vatican II à la lumière de la Tradition n'est pas le lire correctement. C’est tordre les textes"

Le 8 février aux Etats-Unis, Mgr Tissier a également donné l’interview ci-dessous à Catholic Family News :

http://lacriseintegriste.typepad.fr/weblog/2009/02/entretien-de-mgr-tissier-de-malerais-%C3%A0-catholic-family-news.html

12 février 2009

Entretien de Mgr Tissier de Mallerais à Catholic Family News

CfnVotre discours à Syracuse le 8 février était intitulé : « Mgr Lefebvre, le sacerdoce et le règne social du Christ ». Quelle est la signification de ce titre ?

J'ai voulu expliquer, selon le P. Le Floch, qui était le professeur de Marcel Lefebvre au Séminaire français à Rome, et selon Mgr Lefebvre, que le sacerdoce renferme non seulement la sanctification des âmes, mais également le baptême des nations. L'intégrité du sacerdoce mène à la conversion des nations de sorte que la société civile se soumette à Notre Seigneur Jésus-Christ. C'est le but suprême du sacerdoce.

Dans ce discours, vous aviez mentionné que les séminaristes ordonnés au Séminaire français sous l’abbé Le Floch ont élaboré un plan en trois points pour exposer la façon dont une révolution procède. Pourriez-vous les énumérer ?

J'ai suivi ce que le P. Fahey a expliqué à des professeurs du Séminaire français. Ils décrivent les trois étapes de la révolution.

Première étape de la révolution : L'élimination dans le gouvernement du Christ-Roi par la laïcisation ou la sécularisation de l'Etat. Par cette laïcisation, il s’en suit que le Droit Civil ne sera plus soumis à l'Evangile ; et que la religion catholique ne sera plus reconnue publiquement par l'Etat. Selon ce principe révolutionnaire, l'Etat ne peut pas déterminer la vérité en matière de religion.

Deuxième étape de la révolution : la suppression de la Sainte Messe. La Franc-maçonnerie a voulu faire ceci à la fin de la XIXme et au début du XXme siècle avec la séparation de l'Église et État. Ils espéraient ainsi que les chrétiens perdraient la foi et abandonneraient l'Église et que la Sainte Messe ne serait plus célébrée.

Troisième étape de la révolution : Faire perdre la vie divine du Christ dans les âmes, de sorte qu’elles ne vivent plus en état de grâce. Faire des âmes païennes, faire des âmes laïcisées.

Comment voyez-vous Vatican II et ses réformes à la lumière de ce plan en trois points ?

Avec Vatican II, ces trois points ont été effectivement acceptés par l'Église.

D'abord, la destruction de l'État catholique par la déclaration sur la liberté religieuse ; la séparation de l'Église et de l'Etat ; l'Etat ne peut pas donner de verdict de vérité en matière de religion. C’est ce que le cardinal Ratzinger a expliqué à Mgr Lefebvre dans son entrevue du 14 juillet 1987 ; que l'Etat ne peut pas savoir ce qu'est la vraie religion.

En second lieu, la suppression de la Sainte Messe. Ceci s'est produit après Vatican II avec la nouvelle messe. Cette nouvelle masse n'exprime pas le sacrifice de propitiation. En revanche, elle exprime plus une offrande des personnes de Dieu, mais pas un sacrifice célébré par le prêtre afin d’expier nos péchés. Ce deuxième point a été réalisé par la réforme liturgique.

Troisièmement, la laïcisation des âmes. C'est pratiquement la situation aujourd'hui parce presque plus personne ne va se confesser. La plupart des catholiques ne vont plus à la confession. Le sacrement de pénitence a été pratiquement supprimé avec la soi-disant absolution collective. Maintenant Rome veut retourner à des confessions individuelles, mais je suis sûr que de nombreux évêques n'acceptent pas parce que beaucoup de prêtres ne veulent pas entendre des confessions.

Pourtant il y a quand même un bon nombre de prêtres qui veulent entendre des confessions.

Oui, mais généralement les prêtres modernes n'aiment pas entendre les confessions, et n'encouragent pas la confession. Le péché, le péché originel, le besoin de confession, et la satisfaction pour que le péché ne soit plus entendu. Statistiquement, il y a peu de confessions dans les paroisses. Le résultat est que la majorité de catholiques qui peuvent encore avoir la foi ne peuvent pas vivre en état de grâce. Soyons réalistes, le monde est si corrompu, qu’il est impossible de vivre en état de grâce sans le sacrement de pénitence.

Vous avez noté que Mgr Lefebvre a vu que la réponse à la crise de la foi d'aujourd'hui cnsistait à inverser ces trois points. Pouvez-vous expliquer ?

Oui, vous prenez le plan de la révolution mais vous l’inversez.

D'abord, célébrer la sainte messe de nouveau pour la foi, de sorte qu'on reçoive les grâces venant du sacrifice de la croix - à travers la vraie messe. Est c’est ce que nous faisons avec notre foi. Nous voyons les fruits de la sanctification. Nous voyons beaucoup de familles avec beaucoup d'enfants, et beaucoup de vocations.

En second lieu, au moyen de la messe et des sacrements traditionnels, faire que les âmes vivent en état de grâce. C’est la situation de nos fidèles. Je pense que la plupart d'entre eux vivent en état de grâce. Ils viennent régulièrement à la confession afin d'augmenter la grâce sanctifiante ou la récupérer s'ils ont le déplaisir de la perdre. Ils vivent en état de grâce. Les enfants vivent en état de grâce. On enseigne aux enfants à lutter contre les occasions de pécher.

Troisièmement, avec ce groupe de catholiques vivant en état de grâce, agir pour que Notre Seigneur Jésus-Christ retrouve sa place dans la société, afin de lui restituer sa couronne. Ils font ceci dans leurs familles, dans nos établissements catholiques, petit-à-petit, dans leurs travail, dans leurs professions, pour que leur profession se retrouvent en harmonie avec la loi de Jésus-Christ, pour être de bons exemples parmi leurs collègues ; tout ceci finalement pour la re-christianisation de la société civile.

Dans votre intervention, vous avez parlé de la notion moderne du « personnalisme » comme erreur philosophique de Vatican II qui a corrompu la doctrine de l'Église.

Cette erreur a imprégné la soi-disant déclaration sur la liberté religieuse, dire que chacun a le droit de ne pas être empêché d'adorer la divinité de son choix vient directement du personnalisme.

La définition vraie de la personne humaine a été donnée par Boèce : une substance individuelle d'une nature raisonnable. Le thomiste insiste sur « la nature raisonnable », parce que l'homme a un intellect qui est fait pour découvrir, pour saisir la vérité ; et pour tenir la vérité. Ainsi la finalité de l'intelligence est de savoir la vérité, parce que la vérité est l'objet de l'intelligence. Ainsi la perfection de la personne humaine consiste à posséder la vérité.

Mais maintenant, les nouveaux « personnalistes » prennent la même définition de la personne humaine, mais la soumette plutôt comme « substance individuelle ». La personne consiste à être un « individu », ainsi elle doit avoir des droits selon son individualité. C'est-à-dire, avoir la liberté sans considération de la vérité. En contraignant « la substance individuelle », la personne humaine a le droit d'un « individu », selon ses propres principes, ses propres choix, sans considération de la vérité. La possession de la vérité n'est pas essentielle dans la nouvelle définition.

C'était l'enseignement de Jacques Maritain en France, qui fut thomiste, mais qui se convertit au « personnalisme ». Il a eu une grande influence sur le pape Paul VI et sur Vatican II.

Le personnalisme insiste sur le fait que l'individu doit être libre, doit être indépendant, doit choisir par lui-même. En cela consiste « la dignité humaine ». Et ceci a été condamné par pape saint Pie X dans sa Lettre aux évêques français contre le Sillon.

Pouvez vous commenter ce que vous avez dit dans votre intervention : l'Église ne peut pas garder la vérité sans combattre l’erreur ?

L'histoire entière de l'Église démontre ce principe. Dés les premiers siècles, les Pères de l’Église passaient leur temps à combattre les hérésies et condamner les hérétiques. Le Concile de Nicée, le Concile d'Ephèse, sont des démonstrations de cette vérité. Le Concile de Trente fut un splendide concile parce qu'il a condamné le protestantisme. Jamais l'Eglise ne mit en si grande lumière ses propres principes qu'en luttant contre des hérésies. Ainsi aujourd'hui l'Église doit condamner les faux principes afin de mettre en lumière ses propres principes, principes révélés. C'est une nécessité. L'église ne peut pas enseigner la vérité sans combattre les erreurs. C'est le chemin providentiel établi par le Bon Dieu pour le magistère de l'Église.

Diriez-vous que la nouvelle orientation dU « dialogue » est un faux principe pour condamner l’erreur ?

Oui, sous le prétexte de la « charité ». Saint Augustin indique aimons les pécheurs, mais combattons les erreurs. Mais maintenant c’est plutôt « aimons les erreurs, respectons toutes ces erreurs ! ». Puisque l'erreur est toujours professée par des personnes, ainsi si nous respectons les personnes, nous devons respecter leurs erreurs. C'est du subjectivisme.

À la lumière de l’enseignement de la vérité et de la résistance aux erreurs, que pouvez-vous nous dire au sujet des discussions doctrinales prochaines entre la FSSPX et Rome ?

En accordant le décret du 21 janvier, le pape Benoît XVI, s'est déclaré ouvert à ces discussions, et je pense qu’elles commenceront rapidement.

La FSSPX, est formée dans le magistère catholique éternel pour les siècles ; formé en accord avec le Syllabus de Pie IX et le Syllabus contre le modernisme du pape saint Pie X. Les ecclésiastiques modernes avec qui vous aurez ces discussions doctrinales sont des hommes qui pour la plupart ont été formés dans la continuité de Vatican II ; et dans le nouveau anti-anti-Modernisme du Concile. Pouvons-nous spéculer sur la rencontre des esprits dans les discussions prochaines ?

Notre intention est de les mettre devant la contradiction entre leurs doctrines et les doctrines traditionnelles. Nous voulons leur montrer qu'il y a une vraie contradiction.

Comment ces discussions procéderont-elles ?

Nous avons l'intention de nous engager dans une discussion écrite. Nous écrirons nos objections et ils répondront. Peut-être vers la fin il pourra y avoir également des discussions tête à tête.

Au cours de ces discussions, voyez-vous la langue comme problème potentiel ? Par exemple, des mots tels que la « continuité » et la « Tradition » sont définis différemment par les autorités catholiques traditionnelles et par celles, actuelles, du Vatican.

Il est difficile de discuter avec des personnes qui emploient la même langue mais ne donnent pas la même signification pour les mêmes mots. Ainsi nous essayerons de comprendre leur philosophie et de leur parler dans les termes de leur propre fausse philosophie. Quand nous parlons de la « Tradition » nous parlons avec eux de telle façon qu’ils comprennent ; non pour accepter leur nouvelle définition, mais afin de comprendre comment ils s’en arrangent.

En 1988, l’accord était supposé être un protocole original entre Rome et le FSPX : 1) que la FSPX obtiennent son propre évêque ; 2) qu'elle ait une majorité dans la commission du Vatican ; 3) que la FSPX ait une autonomie par rapport aux évêques diocésains. Le FSSPX insistera-t-elle toujours sur ces derniers points quand le temps viendra de parler d'une juridiction pour la FSSPX ?

Oui, et c’est ce que Rome est disposé à donner. Le cardinal Castrillon a déjà fait part de ces dispositions à certains, cependant il est peu probable que la FSSPX ait la majorité dans la Commission Ecclesia Dei. En ce qui concerne l'indépendance vis-à-vis des évêques diocésains, il est évident que Rome est prêt à nous donner une structure qui nous donne une certaine indépendance, ce qui est possible en vertu de la loi. Je devrais noter que nous ne pouvons pas rechercher rapidement une régularisation. Les discussions doctrinales dureront longtemps.

Une des raisons pour lesquelles je vous interroge sur l'autonomie vis-à-vis des évêques diocésains est due à un rapport récent de Mgr Müller, évêque de Ratisbonne (Allemagne). Mgr Müller a dit que si la FSPX est régularisée, elle doit également « accepter que le séminaire de Zaitzkofen tombe sous la surveillance du diocèse de Ratisbonne. Le séminaire devrait être fermé et les étudiants devraient aller aux séminaires dans leurs pays d'origine - s'ils conviennent à cette fin. »

Nous devons avoir une structure juridique qui nous protège contre une telle entreprise de destruction de la part des évêques.

Si le FSPX est régularisée, qui conferrerait les ordinations et les confirmations ?

Nos propres évêques. Cela serait contenu dans les documents finaux. Mais je dois faire remarquer que cette solution juridique finale ne se produira pas si Rome ne fait pas une vraie conversion, parce qu'il serait impossible d'obtenir une telle chose si Rome ne se convertit pas. Il ne serait pas possible de vivre une telle régularisation sans la conversion de Rome. Je l’ai dit dans une interview avec La Stampa à Rome, et on a considéré que c’était un scandale. Certains ont dit : « Cet évêque est ridicule ! Quelle prétention de convertir Rome ! » Mais c'est notre intention. C'est clair. Quand nous discuterons avec ces personnes, c’est pour les convertir.

Puisque vous avez entamé ce sujet, je vous demanderai : pensez-vous que les représentants de Rome entameront également ces discussions avec la même intention : convertir la FSSPX sur le plus de points possibles ? Pour vous inciter « à voir la lumière », ou au moins « sentir sa chaleur » ?

Oui, c'est vrai.

Que dites-vous du fait que Mgr Lefebvre a signé tous les documents de Vatican II, ce qui signifie, selon certains, qu'il n'a vu aucun problème avec le Concile dans son entier ?

J'ai démontré dans ma biographie de Mgr Lefebvre - dans les chapitres sur le Concile - que Monseigneur a jugé qu'alors il ne pouvait pas refuser une décision d'un Concile Général sans se séparer de l'Eglise. La grande majorité des évêques a signé les documents. Mgr de Castro Meyer a signé tous les documents du Concile. C'était une décision collégiale, et dans une décision collégiale, même si vous n'êtes pas d'accord avec la décision, vous devez la signer. Par exemple, dans le décret de la nullité du mariage, il peut y avoir décision de trois ou cinq juges. Si un juge n’est pas d’accord, il signera le décret de toute façon parce que la décision est prise à la majorité. C’est la même chose avec un Concile Général. Cela ne signifie pas que Mgr Lefebvre a accepté toutes les décisions du Concile. Par exemple, il a voté à la fin contre le document sur la liberté religieuse, et a continué à s'opposer publiquement à la liberté religieuse jusqu'à sa mort en 1991.

Plutôt que lire Vatican II à la lumière de la Tradition, nous devons réellement lire et interpréter Vatican II à la lumière de la nouvelle philosophie. Nous devons lire et comprendre le Concile dans sa vraie signification, c'est-à-dire selon la nouvelle philosophie. Puisque tous ces théologiens qui ont produit les textes de Vatican II étaient imprégnés de la nouvelle philosophie. Nous devons le lire de cette façon, non pas pour l'accepter, mais pour le comprendre comme les théologiens modernes qui ont rédigé les documents les comprennent. Lire Vatican II à la lumière de la Tradition n'est pas le lire correctement. C’est tordre les textes. Je ne veux pas tordre les textes.

Vous avez été avec Mgr Lefebvre dés le commencement en 1969. Vous étiez avec Mgr Lefebvre dans les trois grandes étapes de la FSPX dans ses discussions avec Rome : le retrait de la permission du séminaire d’Econe en 1975, la suspens en 1976, et l'impasse qui le fit abandonner le Vatican pour les consécrations épiscopales en 1988. En quoi la situation actuelle en 2009 est-elle comparable avec les discussions précédentes ?

Je pense qu'il n'y a rien de changé par rapport à cela. Finalement, ils veulent nous ramener à Vatican II. Pour nous inciter à l’accepter. La levée des excommunications n'a pas changé ce problème profond de la foi. Elle a changé quelque chose pour les catholiques qui ne comprennent pas notre combat, qui voient maintenant que nous ne sommes pas excommuniés, c’est bon de cette manière pour l’Eglise.

Recueilli par John Vennari

dimanche 1 février 2009

Italie - La Stampa - Mgr Tissier: " Nous ne changerons pas nos positions, mais nous avons l’intention de convertir Rome"

Dans son interview du 1er février 2009 à La Stampa, Mgr Tissier a déclaré " Nous ne changerons pas nos positions, mais nous avons l’intention de convertir Rome, c’est-à-dire d’amener le Vatican vers nos positions. » :

Source en français : http://www.paperblog.fr/1558305/mgr-tissier-de-mallerais-nous-convertirons-rome/

Source en anglais : http://qien.free.fr/2009/200902/20090201_tissier.mallerais.speaks.htm

Bernard Tissier de Mallerais is one of the four bishops consecrated by Archbishop Marcel Lefebvre and Bishop Antonio de Castro Mayer on June 30, 1988 for the Priestly Fraternity of Saint Pius X (FSSPX / SSPX). The only Frenchman among the four Bishops, Tissier de Mallerais, the biographer of Archbishop Lefebvre currently living in Ecône, spoke to Alain Elkann, of Italian daily La Stampa. The interview was published this Sunday:


Monsignor Bernard Tissier de Mallerais, was it a great emotion for you, who took part in the foundation of the Priestly Fraternity of Saint Pius X together with monsignor Lefebvre, to receive the news of the removal of the excommunication by Benedict XVI? Was it a great joy that of being once again accepted in the house of the Father?

-"No, not in the sense of having returned to the house of the Father, because we had ever truly left it."

Now, then, what was your feeling?

-"Seeing indirectly recognized the well-founded goodness of the episcopal consecrations of 1988."

But what had happened?

-"Because His Excellency monsignor Marcel Lefebvre had handed in 1988 the episcopal consecration without 'apostolic mandate', it was followed by an ipso facto excommunication because one cannot be named a bishop without the permission of the Pope."

But how did you went through all these years?

-"Mah, this excommunication lasted for 20 years, but we did not consider it valid, because monsignor Lefebvre had named us due to a case of necessity, and the case of necessity is considered valid in canon law."

But how were you regarded by the Church?

-"We were regarded as schismatics, and I must say that we suffered for twenty years by being separated from the Church of Rome. I was a priest, and I was made a Bishop by Lefebvre precisely in 1988."

So, what happened now?

-"What happened was, in a very simple way, that, through the communication of Cardinal Re, the Pope removed the excommunication from us without any particular ceremony."

But are you now Bishops for the Pope?

-"No, we are still not [titular] Bishops because we do not have an episcopal see."

So, then, aren't all things settled?

-"It is not finished, time is needed."

And who will decide your future?

-"The Pope will decide it, with the mediation of the Roman Curia."

But, in a practical sense, what are the steps which must take place?

-"There will be doctrinal theological discussions regarding doctrines of the Second Vatican Council between the delegates of the Holy See and us."

But do you think of turning back regarding your disagreements?

-"No, absolutely not. We do not change our positions, but we have the intention of converting Rome [to our positions], that is, to lead Rome towards our positions."

And, what so you think about the declarations of another bishop who had been excommunicated alongside you, monsignor Richard Williamson, widely contested by the Jewish world?

-"I have no opinion about this."

But what do you think of what was said?

-"I think that this question does not concern me, and I have no opinion on this question."

And what will you do in the future?

-"I will remain here in Ecône."

In the Ecône seminary, of which you are the rector [RORATE note: the director of the Seminary is actually Father Benoît de Jorna], how many are the priests?

-"There are 60 seminarians here. We have other 200 in six other formation centers."

You have naturally always continued to celebrate the Latin Mass?

-"Right, the beautiful Latin Mass, with Gregorian Mass [sic]."

But even the Pope has resumed celebrating the Mass in Latin?

-"I truly have no knowledge of this, and I am not in a position to give an opinion."

How did the removal of the excommunication take place? Did the decree of the Holy See arrive unexpectedly?

-"It was for us a gift of the Holy Virgin."

A gift of the Holy Virgin in what sense?

-"Because we had given the Pope the [one million,] seven hundred thousand rosaries which we had offered as a gift from the Holy Virgin."

What did you do to obtain the remission of the excommunication?

-"We had addressed His Eminence, Cardinal Dario Castrillon Hoyos, president of the Pontifical Commission Ecclesia [Dei] a letter from monsignor Bernard Fellay, written also in the name of monsignor Alfonso de Galarreta, monsignor Richard Williamson, and my own, that is, of the Bishops consecrated by Lefebvre on June 30, 1988. The removal of the excommunication which dated from July 1, 1988, was requested. In that letter, monsignor Fellay affirmed, 'We are always firmly determined in our will to remain Catholic and to place all our efforts at the service of the Church of Our Lord Jesus Christ, which is the Roman Catholic Church. We accept its teachings with filial disposition. We believe firmly in the Primacy of Peter and in its prerogatives, and for this the current situation makes us suffer so much.' With these words we turned to His Holiness Benedict XVI so that our canonical situation would be reconsidered."

jeudi 15 janvier 2009

Avrillé - 2009 - Mgr Tissier (FSSPX) dénonce les hérésies de Benoit XVI, père de la théologie anti-catholique du Novus Ordo

Sel de la terre – n°67 – Hiver 2008-2009

Le mystère de la rédemption selon Benoît XVI

par Mgr Bernard Tissier de Mallerais

Le mystère de la rédemption est au cœur de la vie chrétienne puisque le Fils de Dieu s'est incarné pour nous sauver : « propter nos et propter nostram salutem [1] ».

Or ce mystère est aussi au cœur de la crise actuelle dans l'Église. Tandis que l'Église enseignait traditionnellement que, pour bénéficier de la rédemption, il fallait faire partie de l'Église catholiquehors de l'Église, pas de salut »), l'église Conciliaire, en promouvant l'œcuménisme, a répandu l'idée qu'on peut se sauver dans toutes les religions.

Ainsi, nos lecteurs ont eu l'occasion de connaître la théorie de la rédemption universelle du pape Jean-Paul II (voir les recensions des ouvrages du professeur Dörmann parues dans les numéros 5 (p. 185-193), 16 (p. 186-196), 33 (p. 218-226) et 46 p. (191-200) ; et les quatre articles sur « l'étrange théologie de Jean-Paul II » parus dans les numéros 49 (p. 86-96), 50 (p. 107-113), 51 (p. 116-124) et 52 (p. 94-115).

Que pense le pape actuel du mystère de la rédemption ? Partage-t-il les idées de la nouvelle théologie, ou bien amorce-t-il un retour à la Tradition ? A l'heure où ses œuvres complètes sont en voie de publication[2], il convient de se poser la question.

Le Sel de la terre.

HERMÉNEUTIQUE, traditionnellement, c'est l'art d'interpréter les faits ou les documents. L'herméneutique, dans la nouvelle théologie, est une relecture de la foi à la lumière de la philosophie moderne, existentialiste et personnaliste.

Le mystère de la rédemption est ainsi réexaminé dans l'ouvrage de Joseph Ratzinger, La Foi chrétienne hier et aujourd'hui, paru en 1968 et réédité par Benoît XVI en 2005[3]. Le pape y maintient la justesse des lignes fondamentales de cette œuvre.

C'est cette révision opérée par Joseph Ratzinger du mystère de la rédemption, que nous allons examiner ici.

Conscience païenne ou conscience chrétienne ?

Il faut avouer que la passion du Christ vue comme une œuvre d'expiation ou de satisfaction à la divine justice pour les péchés des hommes n'est pas à la mode. La justice divine semble être une métaphore au même titre que la colère divine[4] : ne doit-on pas lui préférer l'amour gratuit d'un Dieu qui, en Jésus-Christ, se donne jusqu'au bout (Jn 13,1) ?

La démonstration du théologien de Tubingen tient en une thèse, une antithèse et une synthèse.

· La thèse est que la croix du Christ n'est pas une expiation offerte par l'homme (L’Homme-Dieu) à Dieu (le Père) mais l'expression d'un amour radical qui se donne entièrement (on prouve la thèse en montrant que l'expiation est contraire au message de l'amour qui est censé être celui du nouveau Testament).

· Mais cette thèse ne peut se poser sans s'opposer à elle-même l'antithèse : le même nouveau Testament affirme tout de même l'œuvre d'expiation de Jésus et son offrande en sacrifice à Dieu.

· La synthèse consistera à réinterpréter l'antithèse, c'est-à-dire à purifier l'interprétation du nouveau Testament à la lumière de la thèse : sur la croix, le Christ se substitue bien à nous, pécheurs, mais l'échange consiste simplement en ce qu'il aime pour nous. Ainsi la thèse s'est reconquise et s'est enrichie en englobant l'antithèse.

Présentons d'abord la thèse :

La conscience chrétienne a été sur ce point très largement marquée, comme nous l'avons déjà constaté, par une présentation extrêmement rudimentaire de la théologie de la satisfaction d'Anselme de Cantorbéry, dont nous avons exposé les grandes lignes dans un autre contexte. Pour un très grand nombre de chrétiens, et surtout pour ceux qui ne connaissent la foi que d'assez loin, la croix se situerait à l'intérieur d'un mécanisme de droit lésé et rétabli. Ce serait la manière dont la justice de Dieu infiniment offensée aurait été à nouveau réconciliée par une satisfaction infinie. Aussi la croix paraît-elle exprimer une attitude de Dieu exigeant une équivalence rigoureuse entre le « Doit » et 1'« Avoir » ; et en même temps on garde le sentiment que cette équivalence et cette compensation reposent malgré tout sur une fiction. On donne d'abord en secret de la main gauche ce que l'on reprend solennellement de la main droite. La « satisfaction infinie » que Dieu semble exiger prend ainsi un aspect doublement inquiétant. Certains textes de dévotion semblent suggérer que la foi chrétienne en la croix se représente un Dieu dont la justice inexorable a réclamé un sacrifice humain, le sacrifice de son propre Fils. Et l'on se détourne avec horreur d'une justice dont la sombre colère enlève toute crédibilité au message de l'amour.

Autant cette image est répandue, autant elle est fausse. La Bible ne présente pas la croix comme partie d'un mécanisme de droit lésé ; la croix y apparaît tout au contraire comme l'expression d'un amour radical qui se donne entièrement ; c'est un événement dans lequel quelqu'un est ce qu'il fait, et fait ce qu'il est ; c'est l'expression d'une vie tout entière pour les autres. Pour celui qui y regarde de plus près, la théologie scripturaire de la croix traduit une véritable révolution par rapport aux idées d'expiation et de rédemption dans l'histoire des religions en dehors du christianisme ; il faut cependant reconnaître que dans la conscience chrétienne postérieure, cette révolution a de nouveau été largement neutralisée et a rarement été reconnue dans toute son ampleur. Dans les grandes religions, l'expiation signifie habituellement le rétablissement des rapports avec Dieu, qui ont été troublés, au moyen d'actions expiatoires de la part des hommes. Presque toutes les religions gravitent autour du problème de l'expiation ; elles surgissent de la conscience que l'homme a de sa culpabilité devant Dieu ; elles constituent une tentative pour mettre fin à ce sentiment de culpabilité, pour surmonter la faute par des œuvres d'expiation que l'on offre à Dieu. L'œuvre d'expiation par laquelle les hommes essayent d'apaiser la divinité et de la rendre favorable est au cœur de l'histoire des religions[5].

Pour étayer sa thèse, il faut que le théologien de Tiibingen prévoie les objections : l'expiation et la conciliation de Dieu par l'offrande de sacrifices ne sont-elles pas au centre de la religion de l'ancien Testament, qui fut la vraie religion ? Ne sont-elles pas au cœur de la psychologie humaine la plus saine ? Jésus n'est-il pas venu parfaire cette nécessité de l'expiation, et non pas l'abolir ?

Pour résoudre ces objections, Joseph Ratzinger va user d'un artifice : nier l'action de l'homme en exaltant l'action de Dieu, au lieu d'affirmer les deux. On remarquera que la négation repose sur un seul texte néo-testamentaire (2 Co5, 19) :

Dans le nouveau Testament, les choses se présentent de façon plutôt inverse. Ce n'est pas l'homme qui s'approche de Dieu pour lui apporter une offrande compensatrice, c'est Dieu qui vient à l'homme pour lui donner. Par l'initiative de la puissance de son amour, Dieu rétablit le droit lésé, en justifiant l'homme injuste par sa miséricorde créatrice, en revivifiant celui qui était mort. Sa justice est grâce ; elle est justice active, qui « réajuste » l'homme courbé, qui le redresse, le rend droit. Telle est la révolution que le christianisme a apportée dans l'histoire des religions. Le nouveau Testament ne dit pas que les hommes se réconcilient Dieu, comme nous devrions en fait nous y attendre, puisque ce sont eux qui ont commis la faute et non pas Dieu. Le nouveau Testament affirme au contraire que c'est « Dieu qui, dans le Christ, se réconciliait le monde » (2 Co 5, 19). C'est là quelque chose de vraiment inouï et nouveau, le point de départ de l'existence chrétienne et le centre de la théologie néo-testamentaire de la croix : Dieu n'attend pas que les coupables viennent d'eux-mêmes pour se réconcilier avec lui, il va au-devant d'eux et les réconcilie. En cela se manifeste la vraie direction du mouvement de l'incarnation, de la croix.

Ainsi, dans le nouveau Testament, la croix apparaît avant tout comme un mouvement de haut en bas. Elle n'est pas l'œuvre de réconciliation que l'humanité offre au Dieu courroucé, mais l'expression de l'amour insensé de Dieu qui se livre, qui s'abaisse pour sauver l'homme ; elle est sa venue auprès de nous, et non l'inverse. A partir de cette révolution dans l'idée d'expiation, et donc dans l'axe même de la réalité religieuse, le culte chrétien et toute l'existence chrétienne reçoivent eux aussi une nouvelle orientation. L'adoration dans le christianisme consiste d'abord dans l'accueil reconnaissant de l'action salvifique de Dieu. C'est pourquoi l'expression essentielle du culte chrétien s'appelle à bon droit eucharistie, action de grâces. Dans ce culte, ce ne sont pas des actions humaines qui sont offertes à Dieu ; il consiste plutôt en ce que l'homme se laisse combler. Nous ne glorifions pas Dieu en lui apportant soi-disant du nôtre - comme si tout ne lui appartenait pas déjà - mais en acceptant ses dons et en le reconnaissant ainsi comme l'unique Seigneur[6].

Il y a une part de vérité dans cette affirmation et un auteur non suspect de modernisme, dom Delatte, a osé, trente ans auparavant, l'exprimer sans ambages dans son commentaire sur 2 Co 5, 19 : « C'est Dieu qui, dans le Christ, se réconciliait le monde » :

Il y avait depuis l'origine, entre Dieu et l'homme, séparation et inimitié. L'alliance primitive avait été rompue par le péché du monde. L'humanité en avait conscience ; et pendant que le paganisme s'efforçait par des sacrifices d'apaiser ou de détourner la colère divine[7], les Juifs eux-mêmes tremblaient devant Dieu :

Morte moriemur quoniam vidimus Dominum (Jg 13, 22). Il ne semblait pas que la paix fût possible, l'offenseur s'étant placé, par sa faute même, dans l'incapacité de satisfaire et de réparer.

Selon la parole de l'Apôtre tout devait venir de Dieu : le dessein, l'initiative et l'achèvement de la réconciliation. Tout s'accomplit sur un mode divin : l'offensé vient au secours de l'offenseur, pour le relever. Car Dieu était dans le Christ pour se réconcilier le monde, pour le reconquérir au prix de ses souffrances, pour effacer les fautes des hommes et les ramener aux conditions de l'amitié première[8].

Ainsi, dom Delatte se garde bien d'omettre la satisfaction offerte au Père par l'Homme-Dieu, qui verse pour les hommes le prix de leur rachat, à savoir ses souffrances : quelque chose d'humain que l'homme Jésus-Christ a offert à Dieu et que les hommes offriraient dans l'eucharistie.

En revanche, la thèse de Joseph Ratzinger nie l'acte de l'homme dans la rédemption : dans la religion de Jésus-Christ, l'homme ne fait rien, c'est Dieu qui fait tout. Voilà un simplisme qui fait l'affaire de Luther et qui vient en droite ligne de la philosophie d'Occam, négatrice de l'action des causes secondes sous l'action de la cause première. Car si Dieu nous donne son Christ, n'est-ce pas pour que nous puissions le lui offrir ? Ce Christ est bien « du nôtre », de notre race, de notre chair, pour qu'il devienne l'hostie de notre sacrifice.

La dialectique hégélienne et le pur amour kantien

Toutefois, la négation présentée par la thèse est si absolue qu'elle engendre elle-même son antithèse : elle s'aliène et se dépossède nécessairement par son propre mouvement, en vertu du même nouveau Testament qu'on a invoqué de manière unilatérale. Joseph Ratzinger est donc contraint d'exposer l'antithèse que voici :

Il est vrai que tout n’est pas encore dit par là. En lisant le nouveau Testament du commencement à la fin, on est tout de même obligé de se demander si malgré tout il ne décrit pas l'œuvre d'expiation de Jésus comme un sacrifice offert au Père, si la croix n'est pas présentée comme le sacrifice offert par le Christ à son Père dans l'obéissance. Dans toute une série de textes, la croix apparaît bien comme le mouvement ascendant de l'humanité vers Dieu, de sorte que nous voyons ressurgir tout ce que nous venons d'écarter. En effet, avec la seule ligne descendante, on ne saurait comprendre toutes les données du nouveau Testament. Mais alors comment concevoir la relation entre les deux lignes ? Faudra-t-il en éliminer une en faveur de l'autre ? Et si nous voulions le faire, quel critère aurions-nous pour justifier notre choix ? Il est évident que nous ne saurions procéder ainsi : ce serait prendre arbitrairement notre propre opinion comme critère de la foi[9].

Les textes du nouveau Testament en faveur de l'antithèse sont en effet écrasants. Voyons d'abord l'enseignement du premier pape :

Vous savez que vous avez été rachetés de votre vaine manière de vivre selon votre tradition paternelle, non à un prix d'or ou d'argent corruptibles, mais par le sang précieux comme d'un agneau immaculé et sans souillure : le Christ [...] qui a lui-même porté nos péchés dans son corps sur le bois, afin que morts au péché, nous vivions à la justice [1 Pt 1, 18-19 ; 1 Pt 2, 24].

L'Apôtre des gentils ne pense pas autrement de la justice opérée par le Christ sur sa croix :

Dieu le Père [...] nous a arrachés du pouvoir des ténèbres et nous a transférés dans le royaume du fils de sa dilection, en qui nous avons la rédemption par son sang, la rémission des péchés [Col 1, 13-14].

Et si c'était nécessaire, on devrait ajouter le témoignage de l'Apôtre de l'amour, le disciple bien-aimé du Christ : pour une fois, il ne parle pas seulement d'amour, mais de rachat et de propitiation :

Le sang de Jésus-Christ, son Fils, nous purifie de tout péché. [...] Si nous péchons, nous avons un avocat auprès du Père, Jésus-Christ, le juste : et lui-même est propitiation pour nos péchés : non seulement pour les nôtres mais aussi pour ceux du monde entier [1 Jn 1, 7 ; 2, 2].

On ne peut passer non plus sous silence l'épître aux Hébreux qui décrit l'action sacrificielle de notre grand-prêtre Jésus-Christ, que préfiguraient les multiples sacrifices de l'ancien Testament et qui en est la vérité et le parfait accomplissement :

Tout grand-prêtre, en effet, pris d'entre les hommes, est établi pour les hommes en ce qui regarde le culte de Dieu, afin d'offrir des oblations et des sacrifices pour les péchés ; il est capable d'avoir de la compassion envers les ignorants et les errants, parce que lui-même est revêtu de faiblesse. [...] Et nul ne s'arroge cette dignité ; il faut y être appelé de Dieu comme Aaron. Ainsi le Christ ne s'est pas élevé de lui-même à la gloire du souverain pontificat, mais il l'a reçue de celui qui lui a dit : « Tu es mon fils, aujourd'hui je t'ai engendré » ; comme il est dit encore dans un autre lieu : « Tu es prêtre pour toujours selon l'ordre de Melchisédech ». C'est lui qui, dans les jours de sa chair, ayant avec de grands cris et avec larmes offert des prières et des supplications à celui qui pouvait le sauver de la mort, a été exaucé pour sa piété. Et assurément, tout Fils qu'il était, il a appris par ses propres souffrances ce que c'est qu'obéir ; et consommé, il est devenu pour tous ceux qui lui obéissent principe de salut éternel, Dieu l'ayant déclaré grand-prêtre selon l'ordre de Melchisédech [He 5, 1-10].

« Car si le sang des boucs et des taureaux, si la cendre d'une vache dont on asperge ceux qui sont souillés, sanctifient de manière à procurer la pureté de la chair, combien plus le sang du Christ qui, par l'Esprit éternel, s'est offert lui-même sans tache à Dieu, purifiera-t-il notre conscience des œuvres mortes, pour servir le Dieu vivant ! [He 9, 13-14].

Si telle est l'antithèse, ne détruit-elle pas la thèse ? Non, répond la dialectique hégélienne[10], il faut opérer entre elles une médiation, la synthèse, par laquelle la thèse va se reconquérir, enrichie de l'antithèse. Et le moyen de cette « médiation », c'est l'herméneutique : une interprétation de l'antithèse à la lumière de la thèse. C'est bien ce qu'opère Joseph Ratzinger qui poursuit ainsi sa démarche dialectique :

« Pour progresser, il nous faut élargir la question et essayer de découvrir le point de départ de l'interprétation néo-testamentaire de la croix » (p. 199).

En bref, les apôtres ont interprété la croix comme un sacrifice expiatoire à la manière de « tout l'appareil sacrificiel » et des « idées de la théologie cultuelle de l'ancien Testament » (p. 200). L'épître aux Hébreux illustre cette tentative : le sang des boucs et des béliers est remplacé par le sang du Christ. Et, de même que ce sang d'animaux n'intéressait pas Dieu, à qui tout appartient déjà, de même ce n'est pas la matérialité du sang du Christ ni son effusion qui opère le salut des âmes : « La seule adoration véritable, ce ne peut être que le "oui" inconditionnel de l'homme » (p. 201).

De fait, le Christ « entrant dans le monde dit (à son Père) : Tu n'as plus voulu d'hostie ni d'oblation mais tu m'as adapté un corps ; les holocaustes pour les péchés ne t'ont pas plu, alors j'ai dit : Me voici, [...] pour faire, O Dieu, ta volonté » (He 10, 5-9).

Joseph Ratzinger poursuit sa synthèse :

Or comme tout le culte pré-chrétien repose sur l'idée de substitution, de représentation[11], cherchant à remplacer ce qui est irremplaçable [l'homme même], l'Épître [aux Hébreux] peut se permettre de publier sans ménagements l'échec total des religions, parce qu'elle sait que dans le Christ l'idée de substitution, de représentation a reçu un sens nouveau. [...] Jésus, passant par le voile de la mort, est entré dans le vrai temple, devant la face de Dieu lui-même, pour lui offrir non des choses, du sang d'animaux ou d'autres offrandes du même genre, mais sa propre personne. [...] Il s'est offert lui-même. Il a enlevé aux hommes leurs offrandes pour y substituer sa propre personne offerte en sacrifice, son propre Moi [p. 201].

Et le précieux sang de Jésus-Christ, avec lequel il fait, justement, son entrée dans le sanctuaire céleste et qui « purifie notre conscience des œuvres mortes » (He 9, 12-14), qu'en est-il de lui ? Joseph Ratzinger interprète :

Si le texte affirme malgré tout[12] que Jésus a accompli la réconciliation par son sang, celui-ci n'est pas à comprendre comme un don matériel, comme un moyen d'expiation mesuré quantitativement; il n'est que l'expression concrète d'un amour dont il est dit qu'il va jusqu'au bout (Jn 13, 1) [p. 201-202].

L'effort de synthèse se poursuit, la « thèse » se reconquiert dans sa forme négative primitive et s'enrichit de l'antithèse réinterprétée :

L'essence du culte chrétien ne consiste donc pas dans l'offrande de choses, ni dans une destruction quelconque, comme il est répété sans cesse dans les théories du sacrifice de la messe, depuis le 16e siècle. D'après ces théories, la destruction serait la vraie façon de reconnaître la souveraineté de Dieu sur toutes choses. Toutes ces spéculations sont simplement dépassées par l'événement du Christ et par l'interprétation qu'en donne la Bible. Le culte chrétien consiste dans l'absolu de l'amour, tel que seul pouvait l'offrir celui en qui l'amour même de Dieu était devenu amour humain ; il consiste dans la nouvelle forme de représentation [substitution], incluse dans cet amour : à savoir que le Christ a aimé pour nous, et que nous nous laissons saisir par lui. Ce culte signifie donc que nous mettons de côté nos propres tentatives de justification [p. 202].

Donc sur la croix, le Christ n'offrait pas réellement son corps et son sang, ni même sa vie temporelle, il n'offrait que son « Moi » et sa « personne », ou son amour. La dialectique hégélienne appliquée à la croix purifie celle-ci de sa matérialité pour n'en garder que la forme pure : l'amour, un amour dont on ne sait pas comment il agit ni à quoi il est destiné. C'est l'amour kantien : ni matière, ni efficience, ni finalité, mais la forme pure. La croix dématérialisée et désorientée ne laisse subsister que l'amour désincarné. La religion de l'expiation se trouve désintégrée en religion de l'amour pur. De l'offense et du désordre du péché, pas un mot ; des peines du péché, pas un mot ; de la réparation, du mérite, de la satisfaction, de l'expiation du Christ, pas une explication ; toute cette doctrine traditionnelle contenue dans la sainte Écriture et la Tradition des Pères, dans la liturgie traditionnelle et dans le simple Catéchisme du Concile de Trente, se trouve subtilisée. La miséricorde divine est déflorée de la plus exquise de ses délicatesses : le rachat de l'homme pécheur par l'homme pécheur lui-même, grâce au Christ qui est l'homme sans péché.

Rigueur de la justice et délicatesse de la miséricorde divine

Une humble page d'un auteur spirituel ignoré, contemporain de Joseph Ratzinger, réduit à néant la spéculation du théologien de Tûbingen à la lumière des Pères de l'Église :

Dieu a souci non seulement de notre salut mais encore de notre honneur. Et, par un véritable excès d'amour, il sacrifie sa gloire à la nôtre, osent dire les Pères. Et il choisit la solution la plus glorieuse pour nous, la plus douloureuse pour lui : la croix. Il ne viendra pas en donateur mais en quémandeur, non pas en créancier mais en débiteur ; il ne viendra pas donner mais recevoir : recevoir de nous de quoi payer notre salut afin que ce salut soit entièrement nôtre, lui s'effaçant, s'abîmant en nous : exinanivit. Raffinement de délicatesse et d'amour qui ne peut aller plus loin.

« Il a reçu de nous ce qu'il devait offrir pour nous, écrit saint Ambroise, afin de nous racheter du nôtre et de nous donner du sien, par une largesse divine, ce qui n'était pas nôtre. Vous le savez, c'est du nôtre qu'il a offert son sacrifice. Car, quelle a été la cause de l'incarnation, si ce n'est pour que la chair qui avait péché fût elle-même l'instrument de son rachat ? » [13].

Mais Joseph Ratzinger fait fi de saint Ambroise, de saint Augustin, de saint Léon le Grand, il caricature saint Anselme et il n'aime pas saint Thomas d'Aquin [14] ; alors sa thèse est fausse et anti-traditionnelle, son antithèse, en réalité, n'est rien d'autre que la pure Tradition et sa synthèse de pur amour est aussi fausse et controuvée que sa thèse. Saint Thomas d'Aquin, héritier des Pères, souligne, lui, sans nulle dialectique, que la charité est l'âme du sacrifice du Christ, mais il n'estompe ni la matérialité ni la valeur expiatoire de ce sacrifice :

La passion du Christ a-t-elle produit ses effets par mode de sacrifice ?

Il faut répondre que le sacrifice, au sens propre, est quelque chose qui est fait en l'honneur proprement dû à Dieu, en vue de l'apaiser. [...] Or le Christ s'est offert lui-même pour nous dans sa passion et cette œuvre même d'avoir subi volontaire­ment la passion fut au plus haut point acceptée par Dieu, car elle provenait de la charité. C'est pourquoi il est manifeste que la passion du Christ fut un véritable sacrifice[15].

Nulle part dans sa Somme théologique saint Thomas ne met en doute le devoir de satisfaction de l'homme envers Dieu pour le péché ; il va poser à l'encontre de la satisfaction du Christ plusieurs objections, mais l'idée même de satisfaction lui paraît tellement traditionnelle qu'il ne lui vient pas à l'idée de la mettre en doute ou de la nier par souci de méthode et surtout pas de faire de cette négation sa thèse. Pour saint Thomas, la thèse à défendre et à prouver, c'est uniquement la satisfaction du Christ, et cela dès la première question du traité du Verbe incarné, traitant du but même de l'incarnation :

Pour réparer l'humaine nature qui s'était écroulée par le péché, il suffisait, semble-t-il, que l'homme lui-même offrît une satisfaction pour le péché. Dieu ne peut en effet exiger d'un être plus que ce qu'il peut donner ; et comme par ailleurs sa miséricorde le porte plutôt à pardonner qu'à punir, s'il impute à l'homme l'acte de son péché, il tiendra compte aussi, pour le lui remettre, de l'acte contraire. Donc l'incarnation ne fut pas nécessaire à la réparation de la nature humaine !

Mais non, la satisfaction d'un pur homme ne put être suffisante et ceci pour deux raisons : d'une part c'est toute la nature humaine qui était corrompue par le péché, ce n'est donc pas la bonté d'un ou de plusieurs individus qui pouvait compenser par équivalence le détriment causé à toute une nature. D'autre part, le péché commis contre Dieu comporte une certaine infinité à cause de l'infinie majesté divine qu'il offense : plus grand est l'offensé, plus grave est l'offense. C'est pourquoi pour une satisfaction parfaite il fallut une action satisfactoire d'une efficacité infinie, à savoir celle d'un Homme-Dieu[16].

Et que l'Homme-Dieu ait satisfait pleinement pour les péchés, cela ne dispense pas l'homme pur de joindre sa satisfaction même imparfaite à la satisfaction parfaite du Christ :

Mais s'il s'agit d'une satisfaction imparfaite, il suffit pour qu'elle soit efficace, que l'offensé veuille bien s'en contenter bien qu'elle ne soit pas parfaite. Et de cette manière la satisfaction d'un pur homme est suffisante. Or comme l'imparfait présuppose le parfait et se fonde sur lui, il s'ensuit que la satisfaction du pur homme tient son efficacité de la satisfaction du Christ[17].

L'action de la cause première ne supprime pas l'action des causes secondes. Ces six dernières brèves lignes de saint Thomas dissipent par avance l'erreur d'Occam et de Luther, dont Joseph Ratzinger n'est pas exempt, elles sont riches de toute la valeur de la croix dans la vie chrétienne : une valeur proprement satisfactoire.

Mais, plus loin dans sa Somme, saint Thomas consacre un article entier de sa question 48 à la valeur satisfactoire de la passion de Jésus-Christ :

Est-ce que la passion du Christ a causé notre salut par mode de satisfaction ? Pour répondre, il faut savoir ce qu'est une satisfaction : celui-là satisfait à proprement parler pour une offense, qui présente à l'offensé quelque chose que ce dernier aime autant ou plus qu'il n'a haï l'offense. Or, le Christ, en souffrant par charité et par obéissance, a présenté à Dieu quelque chose de plus grand que ne l'exigeait la compensation de toutes les offenses du genre humain : premièrement, à cause de la grandeur de la charité en vertu de laquelle il souffrait ; deuxièmement, à cause de la dignité de la vie qu'il donnait comme satisfaction, car c'était la vie d'un Homme-Dieu ; et troisièmement, à cause de la vaste diversité de sa passion et de l'intensité des douleurs qu'il a assumées. Et voilà pourquoi la passion du Christ a été une satisfaction non seulement suffisante, mais surabondante pour les péchés du genre humain, selon ce texte de l'Épître de saint Jean : « Lui-même est propitiation pour nos péchés, non seulement pour les nôtres mais aussi pour ceux du monde entier » [1 Jn 2, 2][18].

Et saint Thomas enfonce le clou en précisant, dans la ligne des Pères, que cette satisfaction du Christ en sa passion fut - chose totalement passée sous silence par Joseph Ratzinger - à la fois œuvre de justice et de miséricorde :

Il faut dire que la libération de l'homme par la passion du Christ fut convenable, et à la miséricorde et à la justice du Christ. A sa justice d'une part, car par sa passion, le Christ satisfit pour le péché du genre humain : et ainsi l'homme fut libéré par la justice du Christ. A sa miséricorde aussi, car comme l'homme, par soi, ne pouvait satisfaire pour le péché de toute la nature humaine [voir III, q.l, a.2, ad 2], Dieu lui donna un Satisfacteur, son Fils, selon le mot de saint Paul aux Romains : « [Nous sommes] justifiés gratuitement par sa grâce, par la rédemption qui est en le Christ Jésus, que Dieu nous a proposé comme propitiatoire par la foi en lui » [Rm 3, 24]. Et ceci fut le fait d'une plus grande miséricorde que s'il avait remis les péchés sans exiger satisfaction. C'est pourquoi l'Apôtre dit aux Éphésiens [Ep 2, 4-5] : « Dieu, qui est riche en miséricorde, à cause de sa trop grande charité par laquelle il nous a aimés, comme nous étions morts par nos péchés, nous a vivifiés dans le Christ » [19].

Non seulement une satisfaction condigne va être offerte à Dieu pour les péchés, mais c'est l'homme lui-même qui va l'offrir, se rachetant par là lui-même au lieu d'être libéré par force, par la puissance de Dieu. L'évêque saint Augustin (De Trinitate, L. 13, ch. 14) et le pape saint Léon (Sermons I et II De Nativitate, «Sources chrétiennes», p. 76-77, 81-83), interprétés par saint Anselme de Cantorbéry, insistent sur cette miséricorde plus abondante que Dieu a faite à l'homme en lui mettant en mains la satisfaction à lui offrir, en mettant à sa disposition le Satisfacteur, l'un d'entre les hommes, le Christ-homme. C'est l'homme lui-même qui va pouvoir se réhabiliter en stricte justice, même si c'est par le don de Dieu.

Ce que l'homme offre à Dieu, c'est toujours « de tuis donis ac datis (de vos dons et de vos bienfaits) ». Comme la pièce de dix sous que l'enfant fiérot met dans le panier de la quête, même s'il a reçu cette pièce du porte-monnaie de papa : même s'il rend « solennellement » de la main droite ce qu'il a reçu miséricordieusement dans la gauche. C'est ce que Jésus-Christ, un jour de l'Épiphanie, fit entendre à sainte Mechtilde après qu'elle eût reçu la communion :

Voici que je te donne l'or, c'est-à-dire mon divin amour ; l'encens, c'est-à-dire toute ma sainteté et ma dévotion ; enfin la myrrhe, qui est l'amertume de ma passion tout entière. Je te les donne en propriété à tel point que tu pourras me les offrir en présents, comme un bien qui t'appartient[20].

Recevoir de Dieu, c'est la miséricorde ; donner à Dieu, c'est la justice. Pourquoi Joseph Ratzinger déflore-t-il la miséricordieuse justice de Jésus-Christ ? Sine affectione, sine misericordia (sans affection, sans miséricorde : Rm 1, 31) ...

Aurait-il lu saint Thomas, il aurait appris à unir ce qu'il oppose :

L'œuvre de la divine justice, dit le Docteur angélique, présuppose toujours une œuvre de miséricorde et est fondée sur elle. Il n'est rien dû, en effet, à la créature, si ce n'est en raison de quelque chose de préexistant en elle, ou de quelque chose de préconsidéré : et à son tour, si cette chose est due à la créature, ce sera en raison d'autre chose antérieure. Et comme on ne peut procéder à l'infini, il faut bien arriver à quelque chose qui dépende de la seule bonté de la divine volonté, et qui est la fin ultime. Par exemple, si nous disons qu'avoir des mains est dû à l'homme à cause de l'âme raisonnable ; qu'avoir une âme raisonnable est dû à l'homme afin qu'il soit homme ; il faut dire que l'homme est homme en raison de la divine bonté. Et ainsi en toute œuvre de Dieu paraît la miséricorde comme la première racine de cette œuvre [I, q. 21, a. 4].

Un Dieu courroucé qui exige un sacrifice humain ?

Il n'y a pas à s'étonner de ce que l'œuvre de justice envers Dieu - qui est en même temps une œuvre de justice de Dieu - la satisfaction de l'homme pour son péché, présuppose une œuvre antérieure de miséricorde de Dieu, un bienfait gratuit, un don de Dieu. La satisfaction de l'homme repose sur le don divin du Satisfacteur. Deo gratias !

Mais relevons ici une objection de l'objecteur sine affectione contre la rigueur de la justice divine :

Certains textes de dévotion semblent suggérer que la foi chrétienne en la croix se représente un Dieu dont la justice inexorable a réclamé un sacrifice humain, le sacrifice de son propre Fils. Et l'on se détourne avec horreur d'une justice dont la sombre colère enlève toute crédibilité au message de l'amour[21].

L'aporie du « sacrifice humain » n'est pas ignorée de saint Thomas : dans les sacrifices de la Loi ancienne qui étaient des figures de celui du Christ, jamais on n'offrait de chair humaine, bien plus, de tels sacrifices étaient considérés comme innommables. Le Docteur angélique l'explique :

Il faut que la vérité excède la figure. C'est pourquoi, très convenablement, la figure du sacrifice par lequel la chair du Christ serait offerte pour nous, fut la chair non d'hommes mais d'autres animaux, signifiant la chair du Christ, laquelle est le sacrifice très parfait : d'abord, parce qu'étant la chair d'une nature humaine, elle est offerte pour les hommes convenablement et est prise par eux dans le sacrement. Deuxièmement, parce qu'étant passible et mortelle, cette chair était apte à l'immolation. Troisièmement, parce qu'étant sans péché, elle était efficace à purifier les péchés. Quatrièmement, parce qu'étant la chair de l'offrant lui-même, elle était acceptée par Dieu à cause de la charité de celui qui offrait sa propre chair [III, q. 48, a. 3, ad 1].

Joseph Ratzinger a visiblement oublié ces paroles de saint Paul, répétées par la liturgie de la Semaine sainte : « Proprio Filio suo non pepercit Deus, sed pro nobis omnibus tradidit eum (Dieu n'a pas épargné son propre Fils, mais pour nous tous il l'a livré) ». Nulle cruauté ne paraît dans la livraison par le Père de son Fils à la mort pour nous tous (Rm 8, 32). Ce que commente ainsi saint Thomas :

Le Christ a souffert volontairement, par obéissance au Père. Dès lors, selon trois aspects, le Père a livré le Christ à la passion : d'abord, puisque, selon sa volonté éternelle, il préordonna la passion du Christ à la libération du genre humain, selon ce qui est dit par le prophète Isaïe [Is 53, 6 et 10]... Deuxièmement, en tant qu'il lui inspira la volonté de souffrir pour nous, en lui infusant la charité, c'est pourquoi il est dit par le même prophète [v. 7] : « il a été offert parce qu'il l'a voulu ». Troisièmement, en ne le protégeant pas de la passion mais en l'exposant aux persécuteurs... [III, q. 47, a. 3].

Livrer à la souffrance et à la mort un homme innocent, ajoute saint Thomas, si c'est contre sa volonté, c'est impie et cruel. Mais ce n'est pas ainsi que Dieu le Père a livré le Christ ; mais il l'a livré en lui inspirant la volonté de souffrir pour nous. En cela paraît d'une part la sévérité de Dieu [Rm 11, 22] qui n'a pas voulu remettre le péché sans pénalité. [...] et d'autre part la bonté de Dieu, du fait que l'homme ne pouvant suffisamment satisfaire par une peine qu'il souffrirait, il lui a donné un satisfacteur [Rm 3, 25 ; 8, 32] [III, q. 47, a. 3, ad 1].

Nulle cruauté inexorable, donc, nulle sombre colère n'apparaît dans la livraison du Fils incarné voué à la mort par le Père, mais seulement bonté et justice gouvernées par une sagesse que la théologie conduit à adorer, non à caricaturer !

La croix du Christ : apaiser Dieu ou apaiser l'homme ?

Mais, comme toute une série de textes bibliques et même du nouveau Testament affirme bel et bien la satisfaction offerte en justice à notre place par Jésus à Dieu son Père pour nos péchés, le théologien Ratzinger, nous l'avons vu, est contraint de l'admettre et d'en tenter une réinterprétation in extremis. On ne nie pas la doctrine révélée, on la réinterprète :

La croix [...] apparaît tout au contraire comme l'expression d'un amour radical qui se donne entièrement [...] Ce n'est pas l'homme qui s'approche de Dieu pour lui apporter une offrande compensatrice, c'est Dieu qui vient à l'homme pour lui donner. Par l'initiative de la puissance de son amour, Dieu rétablit le droit lésé, en justifiant l'homme injuste par sa miséricorde créatrice, en revivifiant celui qui était mort. [...] Le nouveau Testament ne dit pas que les hommes se réconcilient Dieu [...] il affirme au contraire que « c'est Dieu qui, dans le Christ, se réconciliait le mondé » [2 Co 1, 19]. Le culte chrétien en reçoit une nouvelle orientation et avec lui toute l'existence chrétienne[22].

L'amour du Christ serait restaurateur, non réparateur : il restaurerait l'homme injuste, sans réparer l'injustice commise envers Dieu. Le péché ne serait pas une injustice envers Dieu mais envers l'homme lui-même. Il suffirait de réparer l'homme. Dieu apaiserait l'homme sans que l'homme ait besoin d'apaiser Dieu. La réconciliation serait à sens unique : une offrande par Dieu à l'homme ; offrande de l'amour gratuit, livraison pure et dure du Fils de Dieu à la mort cruelle sans autre raison que de démontrer la pure gratuité d'un « geste d'amour qui donne tout [23] ». Joseph Ratzinger maintient sa suppression de la satisfaction du Christ, et il passe de même sous silence les mérites du Christ, la valeur méritoire de sa passion ; il ne reste que l'Amour, dont on ignore comment il peut bien « revivifier» l'homme pécheur : par sa gratuité ? par son exemplarité ? par son attrait ? Ce « geste d'amour qui donne tout » revêt un caractère énigmatique ; on recule avec inquiétude devant la gratuité existentialiste et la formalisation transcendantale dont le théologien de Tubingen habille la charité du Christ.

N'y a-t-il pas davantage de cruauté dans cette livraison gratuite du Fils éternel à la mort sans d'autre raison que de se livrer et de se donner à l'extrême, que dans la volonté de se livrer en sacrifice expiatoire, que le Père éternel inspire à son Fils incarné ? L'amour compensation est quand même plus intelligible et plus humain que l'amour exode !

C'est ici encore que, s'il avait apprécié saint Thomas, Joseph Ratzinger aurait réconcilié ce qu'il sépare : la justification de l'homme pécheur et l'apaisement de Dieu, qui sont les deux éléments indissociables de la réconciliation de l'homme avec Dieu :

Il faut dire que la passion du Christ est la cause de notre réconciliation avec Dieu de deux manières. D'une première manière, en tant qu'elle ôte le péché[24], par lequel les hommes sont constitués ennemis de Dieu, selon ce mot de la Sagesse [Sg 14, 9] : «sont pareillement odieux à Dieu l'impie et son impiété» et du psaume [Ps 5, 7] : « Tu as haï tous ceux qui opèrent l'iniquité ».

D'une autre manière, en tant que la passion est un sacrifice accepté au plus haut point par Dieu. Car c'est proprement l'effet du sacrifice, que par lui Dieu soit apaisé [ut per ipsum placetur Deus] : comme, par exemple, lorsque quelqu'un remet à autrui une offense commise contre soi en raison d'un acte de déférence [obsequium] qui lui est rendu par l'offenseur. C'est pourquoi, il est dit au livre des Rois [1 R 26, 19] : « Si c'est le Seigneur qui t'excite contre moi, qu'il agrée le parfum d'une offrande ».

Or, semblablement ce fut un si grand bien que le Christ ait volontairement souffert, qu'à cause de ce bien qui se trouvait dans la nature humaine Dieu a été apaisé au sujet de toute l'offense du genre humain, en ce qui concerne ceux qui sont unis au Christ qui a souffert [unis par la foi et les sacrements de la foi] [III, q. 49, a. 4].

Certes, le sacrifice de Jésus-Christ fut « accepté au plus haut point » par son Père surtout à cause de l'extrême charité de l'offrant et de la victime, mais il ne faut pas oublier ou déprécier la matière même du sacrifice : les souffrances et la mort de Jésus, qui ont exercé sa charité. C'est du bois de la croix que s'est alimentée la charité du Christ. La flamme avait besoin de cette matière pour ardre.

Raison d'être de la peine du péché et de la satisfaction pénale selon saint Thomas

Il n'y a pas de doute que la charité du Christ soit l'élément principal de son œuvre rédemptrice, mais il ne faut surtout pas omettre l'élément subordonné et néanmoins indispensable : l'expiation pénale du péché. Celle-ci est trop bien affirmée par l'Écriture sainte, par exemple par la figure du Serviteur de Dieu souffrant, le Messie, selon le prophète Isaïe.

Mais lui, il a été blessé à cause de nos iniquités, écrasé à cause de nos crimes ; le châtiment qui nous procure la paix est sur lui et c'est par ses meurtrissures que nous avons été guéris[25].

Saint Thomas d'Aquin voit en effet dans le péché un double mouvement : le premier, un mouvement d'orgueil (aversio a Deo), le second un mouvement de concupiscence (conversio ad creaturam) : ainsi en fut-il du péché de nos premiers parents (« vous serez comme des dieux... elle vit que le fruit était beau et bon » (Gn 3, 5-6). Et ainsi en est-il de chaque péché mortel. Le premier mouvement a rendu l'homme indigne de la vision divine, le second l'en rend incapable à cause de l'obstacle de l'attachement désordonné à la créature.

L'acte de contrition d'un homme individuel a ce double effet de réparer le double mouvement désordonné du péché :

« La contrition, par sa charité, détruit la faute, tandis que par sa douleur, elle agit pour acquitter la peine. » (III Sent. D. 20, a. 3, ad 5).

Ainsi, la charité détruit l’aversio a Deo et la peine détruit l’adhésion à la créature. Tant que la peine n'est pas acquittée, demeure un obstacle pour obtenir la gloire (voir III, q. 48, a. 1, ad 2 ; De Veritate, q. 29, a. 7).

La passion de Jésus-Christ restituera à l'homme à la fois la dignité et l'aptitude à la gloire : sa charité prendra la place de l’aversio et méritera le salut ; la peine corporelle supportée dans l'obéissance contribuera à réparer le mouvement de conversio ; et ainsi se trouvera restauré l'ordre universel, voulu par le Créateur et brisé par la faute première[26].

Par la faute, l'homme n'a pas soustrait à Dieu un bien propre, car Dieu, infiniment heureux en lui-même, ne peut être privé de nulle béatitude : Dieu n'est pas lésé selon la justice commutative. Voilà toute la difficulté de la compréhension théologique du péché et de celle de la réparation. Pour n'avoir pas voulu affronter explicitement cette difficulté, Joseph Ratzinger ne voit dans le péché que l’aversio a Deo, il escamote la conversio ad creaturam ; il pèche par angélisme.

L'offense du péché à l'égard de Dieu n'a donc pas consisté à priver Dieu de son bien, à diminuer sa gloire essentielle, mais elle a consisté à bouleverser l'ordre voulu par le Créateur, ordre qui consiste en l'ordination de la nature humaine (et de toutes les natures créées) à Dieu comme à leur fin ultime[27]. Ce concert des créatures rendant louange au Créateur est ce qu'on appelle la gloire externe de Dieu ; s'y soustrayant par l’aversio a Deo et la conversio ad creaturam, l'homme a violé l'ordre de sa nature et, par là, l'ordre de l'univers. Cet ordre constitue, d'après saint Thomas, une sorte de justice par laquelle toutes les parties du tout sont ordonnées entre elles, et ordonnées et soumises à Dieu, fin ultime de tout et bien commun séparé de l'univers. Il est bien à propos de citer ici saint Thomas, pour situer exactement en quoi le désordre du péché offense Dieu : en étant opposé à la justice.

Le mot «justice » désigne un certain état particulier selon lequel l'homme se trouve dans l'ordre requis vis-à-vis de Dieu, vis-à-vis du prochain et vis-à-vis de lui-même : il consiste en ce qu'en lui, les puissances inférieures se trouvent soumises aux facultés supérieures : c'est ce que le Philosophe appelle dans le Ve livre de l'Éthique [chapitre dernier] la justice métaphorique [28] : elle concerne les diverses facultés d'une même personne, tandis que la justice proprement dite existe toujours entre des personnes différentes [De Veritate, q. 28, a. 1].

Dans sa Somme théologique, le Docteur angélique perfectionne son explication :

La justice renferme dans sa définition l'idée d'une rectitude de l'ordre ; celle-ci d'ailleurs peut se comprendre de deux façons : d'une part, en ce sens que l'ordre voulu se trouve réalisé dans l'acte de l'homme. Ainsi entendue, la justice forme une vertu spéciale ; soit la justice individuelle qui règle les actes de l'individu dans ses rapports avec les autres individus, soit la justice légale qui règle ces actes par rapport au bien commun de la multitude, suivant les définitions du Ve livre de l'Éthique. D'autre part, le mot de justice peut signifier que l'ordre qui convient règne dans les dispositions intérieures elles-mêmes de l'homme, par la soumission de la partie la plus noble de l'âme à Dieu, et celle des forces inférieures à la faculté supérieure, c'est-à-dire à la raison. Aristote, au même Ve livre de l'Éthique, appelle également cette disposition la justice prise en un sens métaphorique [I-II, q. 113, a. 1].

Cette justice de l'ordre intérieur des facultés de l'âme humaine est dite « métaphorique » parce que la justice proprement dite est de personne à personne (ou justice commutative). En revanche, la subordination de la raison supérieure de l'homme à Dieu - par la grâce sanctifiante - est une justice au sens propre, une justice envers Dieu : il y a de l'homme à Dieu un devoir de justice commutative : l'homme doit rendre à Dieu l'équivalent de ce qu'il a reçu de lui et lui rendre ce qu'il lui a volé par le péché.

Or, il y a à ce dû une double difficulté : d'abord le bien qui consiste chez l'homme à avoir été tiré du néant par le créateur est quelque chose d'infini, qui engendre une dette infinie : « Quid retribuam Domino pro omnibus quœ retribuit mihi ? », s'exclame le psalmiste : « Que rendrai-je au Seigneur pour tout ce qu'il m'a donné ?» (Ps 115, 12). De même, le péché engendre chez l'homme une nouvelle dette infinie à cause de l'infinie dignité de Dieu qui est offensé, ce qui fait du pécheur un débiteur insolvable, et ce qui nous fait prier dans le Pater : « Remettez-nous nos dettes comme nous les remettons à nos débiteurs ! » (Mt 6, 12). Tout ce que l'homme pourra rendre à Dieu, ce ne sera jamais en justice stricte, mais selon l'acceptation de Dieu, à moins qu'un Homme-Dieu n'intervienne...

A cette première difficulté de notre justice envers Dieu s'ajoute une seconde : même si Dieu est un être personnel (trois Personnes), il n'est pas réellement affecté par ses créatures ni par ce qui se passe en elles. « La relation aux créatures n'est pas réelle en Dieu, dit saint Thomas. En revanche, la relation à Dieu est réelle dans les créatures ; car celles-ci sont soumises à l'ordre divin, et il est intrinsèque à leur nature de dépendre de Dieu» (I, q. 28, a. 1, ad 3). C'est en rompant sa dépendance morale de Dieu - son ordination à Dieu - et en bouleversant en conséquence l'ordre intérieur de ses facultés que l'homme offense Dieu par le péché. C'est en venant restaurer ces deux ordres que le Christ a « opéré toute justice » (voir Mt 3, 15) : par sa soumission volontaire à la volonté de son Père et par l'acquittement de nos peines par ses souffrances.

On peut exprimer différemment le même principe pour tirer la même conséquence. Dieu, comme Créateur, a un droit sur ses créatures, même s'il n'en tire aucun avantage : il a droit simplement à l'ordination de ses créatures à lui-même : par cette ordination, il les perfectionne et il manifeste sa bonté. C'est ce qu'enseigne encore saint Thomas, que Joseph Ratzinger aurait eu avantage à apprécier :

C'est un dû à Dieu que s'accomplisse dans les choses ce que conçoit sa sagesse et sa volonté, et qu'il manifeste sa bonté : et selon cela, la justice de Dieu regarde sa décence [ce qui lui convient] : selon laquelle il se rend à lui-même ce qui lui est dû [I, q. 21, a. I,ad3].

Par la justice de cette ordination des créatures à lui-même, Dieu manifeste donc sa bonté, sa charité ; il rayonne en aimantant les créatures à lui-même, en leur faisant ainsi trouver leur perfection. Or, Dieu tient à manifester sa bonté (voir concile Vatican I, constitution Dei Films, Dz 1783). Le péché, donc, offense Dieu en obscurcissant cette manifestation de la divine bonté.

La satisfaction compensatrice offerte à Dieu son Père par le Rédempteur a donc dû consister globalement en l'offrande d'un acte plus agréable à Dieu que ne lui avait été désagréable le désordre universel de la nature humaine : telle fut la passion du Christ, animée par une charité excellente et offrant une vie d'une dignité infinie : la vie d'un homme-Dieu. Mais la satisfaction a consisté aussi spécialement en l'acquittement de la peine temporelle qui, supportée par obéissance, réparerait spécialement le mouvement désordonné de conversio ad creaturam, autrement dit opérerait le détachement volontaire des créatures et l'arrachement de la volonté à l'emprise des passions.

Il vaut bien la peine de nous répéter : la satisfaction du Christ (et la nôtre en sa dépendance) signifie : ou bien, que la bonté de l'œuvre du Christ en sa passion équilibre la malice du péché et est suffisante pour le réparer ; ou bien, et c'est le cas le plus fréquent chez saint Thomas, elle indique particulièrement la destruction du péché dans son désordre immanent à l'homme, par le support d'une peine temporelle[29].

Le rôle à la fois vindicatif et médicinal de la peine du péché, et donc de la satisfaction pour la conversio ad creaturam, est décrit souvent par saint Thomas :

Pour que l'ordre de la justice soit rétabli, il faut qu'on reprenne à la volonté ce qu'elle convoite : cela se réalise par la peine, qui, ou bien retire des biens qu'on voulait posséder, ou bien inflige des maux qu'on n'aime pas à subir[30].

C'est seulement par la peine que le désordre de la faute est ramené à l'ordre de la justice. Il est juste, en effet, que celui qui a accordé à sa volonté plus de satisfaction qu'il ne le devait, ait à souffrir quelque chose de contraire à sa volonté. C'est ainsi qu'il y aura égalité[31].

Dieu n'inflige pas des châtiments pour eux-mêmes, comme s'il s'y complaisait, mais il se propose une fin qui est de soumettre les créatures à l'ordre, qui constitue le bien de l’univers[32].

Une métaphysique sublime fonde la satisfaction pénale

Il y a là toute une métaphysique sublime[33], derrière le principe moral de l'expiation pénale ; le puissant génie du Docteur angélique la dégage par induction à partir de la compensation spontanée du désordre réalisée dans les divers ordres de la nature :

C'est un fait qui, des réalités de la nature, passe en celles de l'humanité, que tout ce qui s'insurge contre quelque chose doit subir d'elle un détriment. Nous voyons en effet dans la nature qu'un contraire agit avec plus de véhémence si survient l'autre contraire : c'est pour cela que l'eau chauffée gèle plus fort[34], ainsi qu'il est dit au 1er livre des Météores. De là se rencontre chez les hommes cette inclination naturelle qui fait que chacun réprime quiconque s'insurge contre lui. Or, il est manifeste que tout ce qui est contenu sous un certain ordre de choses est en quelque sorte une seule chose ordonnée au principe de cet ordre. Par conséquent, il s'ensuit logiquement que tout ce qui s'insurge contre un ordre de choses soit déprimé par l'ordre même ou par le principe de l'ordre. Or, le péché étant un acte désordonné, il est manifeste que quiconque pèche, agit contre un certain ordre. C'est pourquoi, logiquement il s'ensuit qu'il soit abaissé par l'ordre lui-même, et cet abaissement, c'est la peine[35].

C'est sur ce même principe métaphysique que se fonde aussi le droit des États catholiques de réprimer les cultes erronés publics, pour sauvegarder l'ordre du bien commun temporel ordonné lui-même au salut éternel des âmes. Ce n'est qu'une parenthèse.

Pour en revenir à la satisfaction, son rôle spécial et essentiel comme expiation pénale disparaît complètement dans la vue transcendantale de Joseph Ratzinger. Son herméneutique du mystère de la croix, à la manière de l'amour « a priori » kantien, supprime par conséquent de la spiritualité chrétienne l'ascèse, la mortification, le renoncement et l'esprit de sacrifice, sans lesquels pourtant il ne saurait y avoir, dans l'état présent de l'humanité, de charité véritable.

L'angélisme de Joseph Ratzinger culmine avec sa vision de la mort du Christ sur la croix, comme « un amour radical qui se donne complètement [36] ». Cette sublimation de la mort a le tort d'omettre la matérialité de la mort, séparation douloureuse et angoissante de l'âme et du corps, comme la montre l'agonie de Jésus au Jardin des Oliviers et la laisse supposer la lente agonie sur la croix, objet de la contemplation chrétienne. Et la profonde convenance pénale de la mort du Christ dans sa matérialité est admirablement résumée par saint Thomas :

La satisfaction du Christ ne fut pas seulement pour un seul homme mais pour toute la nature humaine [...] elle dut donc être universelle [...] ayant une vertu à l'égard de tous les hommes. Pour cela, il n'eut pas besoin de porter lui-même toutes les peines qui peuvent s'ensuivre de quelque façon du péché en les assumant en lui-même, mais seulement cette peine à laquelle toutes les autres sont ordonnées et qui contient en sa vertu toutes les peines, même si ce n'est pas en acte. « Or, la fin de toutes les choses terrifiantes, c'est la mort », comme dit le Philosophe [III Eth.] ; c'est pourquoi, c'est en souffrant la mort que le Christ a dû satisfaire [III Sent. D. 20, a. 3, réponse].

La spiritualité chrétienne traditionnelle : un combat spirituel

Les misères de la vie présente ont un rôle pénal bien manifesté par la Révélation divine ; elles ont aussi un rôle médicinal : si la justice divine y trouve son compte, la rectification intérieure de l'homme y est également intéressée. Ces deux choses, d'ailleurs, n'en font qu'une, elles ne diffèrent que selon leurs aspects divins ou humains : ce qui est dû à Dieu et ce qui est dû à l'homme. En d'autres termes, l'acquittement par l'homme de sa dette de justice envers Dieu en souffrant les peines dues au péché tourne aussi à l'avantage de l'homme en lui permettant de restaurer son ordre intérieur détruit par les quatre blessures du péché originel.

Nul n'a davantage montré que Mgr Marcel Lefebvre comment la spiritualité chrétienne, celle qui est authentique, consiste surtout dans la guérison de ces blessures et la correction du désordre qu'elles causent aux puissances de l'âme. Il n'est que de citer l’Itinéraire spirituel rédigé par l'archevêque au soir de sa vie à l'intention de ses prêtres :

Notre spiritualité chrétienne prend l'allure d'un combat spirituel qui dure toute la vie d'ici-bas. Cet enseignement est fondamental et préside aussi à tout notre apostolat. Nous demeurons des malades et avons besoin du Médecin de nos âmes et des secours spirituels qu'il a prévus. Voici l'enseignement de l'Église exprimé par saint Thomas d'Aquin [I-II, q. 85, q. 3 ; Thomas Pègues O.P. La Somme de saint Thomas en forme de catéchisme, p. 128] :

« La sainteté originelle a été perdue par le péché du premier homme. C'est pourquoi toutes les forces de l'âme demeurent, dans une certaine mesure, destituées de leur fin propre, par laquelle elles étaient ordonnées à la vertu ; et cette destitution s'appelle la blessure de la nature [vulneratio naturœ].

« En tant que la raison est destituée de son ordre au vrai, c'est la blessure de l'ignorance [vulnus ignorantiœ].

« En tant que la volonté est destituée de son ordre au bien, c'est la blessure de la malice [vulnus malitice].

« En tant que la force est destituée de son ordre aux choses ardues, c'est la blessure de la faiblesse [vulnus infirmitatis].

« En tant que la concupiscence est destituée de son ordre à ce qui est délectable mesuré par la raison, c'est la blessure dite de la concupiscence [vulnus concupiscentiœ] ».

Dans sa première épître, saint Jean confirme cette vérité : « Tout ce qui est dans le monde est concupiscence de la chair, concupiscence des yeux, orgueil de la vie » [I Jn 2, 6].

Ces quatre blessures touchent nos quatre vertus cardinales et ainsi provoquent en nous un désordre continuel. La plus dévastatrice semble bien être celle de l'ignorance ou de la cécité, c'est-à-dire la méconnaissance de Dieu et de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Car c'est en cette connaissance que réside la vie éternelle : « Car la vie éternelle, c’est qu’ils vous connaissent, vous, le seul vrai Dieu, et celui que vous avez envoyé, Jésus-Christ » [Jn 17, 3] [37].

Et le prélat d'appliquer ces principes théologiques à la vie concrète et actuelle, ce que ne veulent pas faire les libéraux pour qui les principes restent lettres mortes, tandis qu'ils sont au contraire des règles de vie :

Comment, en effet, rendre à Dieu l'amour et le culte qui lui sont dus, si nous demeurons dans l'aveuglement à son sujet ? Les séminaristes et les prêtres ne remercieront jamais assez Dieu de les avoir conduits dans un séminaire où toutes les sciences apprennent à connaître Dieu et Notre-Seigneur, et où toute la vie est orientée à rendre à la Trinité sainte l'honneur, le culte et l'amour qui lui sont dus, par la personne du Verbe incarné : « per Christum Dominum nostrum ».

Puissent les âmes sacerdotales entrer courageusement dans le combat spirituel pour guérir leurs âmes de ces blessures et apprendre ainsi à devenir médecins des âmes [38] !

Médecins des âmes, les prêtres formés à cette école combative le seront : « par la prédication, par la prière de la sainte messe, par l'eucharistie et par le sacrement de pénitence. Les retraites sont un moyen puissant pour diminuer la cécité des âmes et guérir aussi les autres blessures ». Et par contraste avec les principes du combat spirituel, Mgr Lefebvre met en lumière les faux principes théologiques qui ont engendré la spiritualité libérale ou le néant spirituel de la nouvelle religion post-conciliaire :

Sans l'intelligence de ces vérités élémentaires, on ne peut comprendre la spiritualité catholique de la croix, du sacrifice, du mépris des biens temporels pour s'attacher aux biens éternels. [...]

D'où l'insistance de l'Église dans toute sa spiritualité et surtout pour les âmes sacerdotales ou consacrées à Dieu, de s'éloigner du monde et de son esprit, et de ne rechercher que les choses éternelles à la suite de Jésus et Jésus crucifié.

(Or, c'est encore une des désastreuses conséquences du Concile, de chercher à détruire cette spiritualité traditionnelle et catholique du renoncement, de la croix, du mépris des choses temporelles, de l'invitation à porter sa croix à la suite de Notre-Seigneur. [...]

Ce mauvais esprit du Concile, - esprit du monde - a envahi l'univers sacerdotal et religieux et a abouti à une destruction sans précédent du sacerdoce et de la vie religieuse. C'est la grande réussite de Satan : avoir opéré par des hommes d'Église la destruction à laquelle aucune persécution n'avait abouti [39].)

A propos de l'expression « mauvais esprit du Concile », il est utile de remarquer que la même expression en allemand, « Konzils Ungeist », est employée par le cardinal Ratzinger dans son célèbre Entretien sur la foi, pourquoi la foi est en danger (1985), mais dans le sens d'un anti-esprit du Concile qui se serait substitué subrepticement au véritable esprit du Concile à rencontre de la lettre du Concile : en somme, l'herméneutique de rupture aurait pris la place de l'herméneutique de continuité réalisée par le Concile. Telle n'est pas la pensée de Mgr Lefebvre, qui voit dans la lettre même du Concile l'expression d'un mauvais esprit qui est celui-là même du Concile.

Un nouvel âge de spiritualité : un christianisme positif

En passant sous silence la satisfaction du Christ en son sens général et en excluant la satisfaction de la passion de Jésus dans son sens spécial d'expiation pénale de nos péchés, Joseph Ratzinger s'est flatté d'ouvrir à l'Église un nouvel âge de spiritualité. « Le culte chrétien et toute l'existence chrétienne reçoivent eux aussi une nouvelle orientation », dit-il (p. 199), une fois purifiés des déformations que leur auraient fait subir les orateurs du 17e siècle et la piété du 19e siècle. Le théologien de Tubingen est fier d'avoir contribué à opérer la purification de la piété par la réinterprétation idéaliste et existentialiste :

Une question toujours à nouveau soulevée, en particulier par les dévotions traditionnelles à la croix, est celle du rapport qui existe en fait entre le sacrifice [donc l'adoration] et la souffrance. D'après les réflexions qui viennent d'être faites, le sacrifice chrétien n'est pas autre chose que l'exode du «pour», consistant à sortir de soi, accompli à fond dans l'homme qui est tout entier exode, dépassement de soi par amour[40].

Voilà le comble de la réinterprétation idéaliste et existentialiste de la croix :

Dans la mesure où cet exode de l'amour est 1'« extase » de l'homme hors de lui-même, une extase où il se trouve tendu en avant infiniment au-delà de lui-même et comme écartelé, attiré bien au-delà de ses apparentes possibilités de développement, dans cette mesure-là, l'adoration [le sacrifice] est en même temps croix, souffrance du déchirement, mort du grain de blé qui ne peut porter du fruit qu'en passant par la mort [p. 203-204].

Et Joseph Ratzinger déduit de cette relecture du mystère de la croix, la nouveauté du culte et de la piété chrétienne qui va s'ensuivre fructueusement :

Le principe constitutif du culte chrétien est donc ce mouvement d'exode, avec son orientation double et unique à la fois, vers Dieu et vers le prochain [p. 203].

L'essence du culte chrétien ne consiste donc pas dans l'offrande de choses, ni dans une destruction quelconque, comme il est répété sans cesse dans les théories du sacrifice de la messe, depuis le 16e siècle [p. 202].

Sans doute Joseph Ratzinger n'a-t-il pas lu saint Thomas expliquant que :

La chair du Christ est le sacrifice le plus parfait. D'abord, parce qu'étant la chair d'une nature humaine, elle est offerte convenablement pour les hommes, et elle est consommée par eux dans le Sacrement. Deuxièmement, parce qu'étant passible et mortelle, elle était apte à l’immolation. Troisièmement, parce qu'étant sans péché, elle était efficace à purifier les péchés. Quatrièmement, parce qu'étant la chair de l’offrant lui-même, elle était acceptée par Dieu à cause de la charité de Celui qui offrait sa propre chair [III, q. 48, a. 3].

Saint Thomas vivait au 13e siècle et il était tout aussi réaliste que nos orateurs du 17e siècle, dont les fleurs de langage métaphorique : colère divine, vengeance de Dieu, etc., sont aisément ramenées à leur contenu réel par ce que le Docteur angélique explique de la justice divine. Mais Joseph Ratzinger bâtit un nouvel âge spirituel et cultuel sur l'abolition du sacrifice, sublimé en adoration et en extase, et sur la suppression de la satisfaction, réduite à l'amour qui se livre :

Dans le nouveau Testament, la croix apparaît avant tout comme un mouvement de haut en bas. Elle n'est pas l'œuvre de réconciliation que l'humanité offre au Dieu courroucé, mais l'expression de l'amour insensé de Dieu qui se livre, qui s'abaisse pour sauver l'homme ; elle est sa venue auprès de nous, et non l'inverse [p. 198].

Ce que saint Thomas concilie : le don de l'homme et le don de Dieu, Joseph Ratzinger le sépare et l'oppose en affirmant un terme et en niant l'autre. Et de cette dialectique, nulle vraie synthèse ne jaillit, mais la négation se trouve réaffirmée :

A partir de cette révolution dans l'idée d'expiation, et donc dans l'axe même de la réalité religieuse, le culte chrétien et toute l'existence chrétienne reçoivent eux aussi une nouvelle orientation. L'adoration[41] dans le christianisme consiste d'abord dans l'accueil reconnaissant de l'action salvifique de Dieu. C'est pourquoi l'expression essentielle du culte chrétien s'appelle à bon droit eucharistie, action de grâces. Dans ce culte, ce ne sont pas des actions humaines qui sont offertes à Dieu ; il consiste plutôt en ce que l'homme se laisse combler. Nous ne glorifions pas Dieu en lui apportant soi-disant du nôtre - comme si tout ne lui appartenait pas déjà - mais en acceptant ses dons et en le reconnaissant ainsi comme l'unique Seigneur [p. 199].

Dans cette diabolique dialectique, les affirmations sont justes, mais ce sont les négations qui sont hérétiques. Ainsi ont procédé tous les hérésiarques. Et on peut démontrer que la nouvelle messe de Paul VI a été bâtie sur ces négations de l'expiation, du détachement, de la pénitence, du sacrifice ! Nous allons vérifier qu'il en fut bien ainsi, tant dans l'ordinaire de la messe que dans les oraisons, où il n'est plus question de combat spirituel, ni de mépris des choses terrestres pour aimer les célestes, ni de renoncement. Dom Edouard Guillou O.S.B, qui a écrit une étude éclairante sur cette révolution spirituelle dans les oraisons du missel[42], cite un texte paru dans la Documentation catholique, à propos de la nouvelle liturgie :

A partir du Concile s'est propagée dans l'Église une onde d'optimisme, un christianisme stimulant et positif, ami de la vie et des valeurs terrestres, une intention de rendre le christianisme acceptable, aimable, indulgent, ouvert, débarrassé de tout rigorisme moyenâgeux, de toute interprétation pessimiste des hommes et de leurs mœurs[43].

L'étude de la Fraternité Saint-Pie X, parue en 2001, Le Problème de la réforme liturgique, dévoile comment le rite de la messe de Paul VI institué en 1969 est en définitive l'application de la « révolution dans l'idée d'expiation » promue par le théologien Joseph Ratzinger dans ses cours de Tubingen pendant le semestre de l'hiver 1966-1967.

Le théologien de Tubingen à l'origine de la réforme liturgique

En effet, dans le rite nouveau, ce qui a trait à la peine due au péché n'est plus objet de prière : l'offrande est présentée à Dieu comme une pure louange, comme si les péchés commis antérieurement n'avaient laissé aucune trace susceptible d'être un obstacle à l'agrément ; et les fruits satisfactoires (ou plutôt propitiatoires) de la messe sont passés sous silence. Outre cela, le regret de la faute est lui-même minimisé, tout comme dans la théologie de Joseph Ratzinger qui présente le sacrifice comme une « adoration » et simplement cela. Nous allons brièvement passer en revue la componction, l'intercession, l'expiation pénale, la pénitence et la propitiation telles qu'elles s'expriment, ou non, dans les deux rites, le rite traditionnel et le rite nouveau. Nous citons presque ad litteram l'étude susdite (p. 40-46).

Dans le missel traditionnel, les prières de componction reviennent régulièrement, telles une respiration de l'âme, jusqu'au moment solennel de la Préface. Après avoir reconnu ses fautes (Conftteor), l'homme prie pour que ses péchés soient pardonnes (Oramus te) et demande que son cœur et ses lèvres soient purifiés (Munda cor meum). Se présentant alors devant son Dieu le cœur contrit et humilié (In spiritu humilitatis), il invoque sa miséricorde (Incensum istud) ; en protestant de son ferme propos, il se distingue de ceux qui veulent vivre dans le péché (Lavabo). Ce développement des divers éléments de la contrition donne toute son ampleur à la prière que le célébrant récite en montant à l'autel : « Enlevez nos fautes, Seigneur, pour que nous puissions pénétrer jusqu'au Saint des saints avec une âme pure » (Aufer a nobis). A l'inverse, si le nouveau missel comporte certains éléments pénitentiels, ceux-ci revêtent une pauvreté et une brièveté inaccoutumées. C'est à travers le seul acte pénitentiel du début, lui-même réduit, que les fidèles regrettent leurs fautes. La préparation du célébrant sera renouvelée par quelques courtes invocations prononcées à voix basse « en son nom propre» (IGMR [44] 13) : le Per evangelica dicta et le In spiritu humilitatis, ainsi que le court verset Lava me qui remplace le psaume 25 Lavabo. Cet appauvrissement du rite, qui contraste avec la belle précision des prières du missel traditionnel, a été poussé jusqu'à la misère par les traductions. Par exemple, le In spiritu humilitatis et in animo contrito devient en français « Humbles et pauvres » : l'élément de contrition en a donc disparu.

Une âme pardonnée n'est pas pour autant pleinement agréée de Dieu : dans la mesure où elle n'a pas encore accompli toute justice en supportant la peine due au péché, l'âme demeure partiellement injuste et, de là, inapte à offrir par elle-même un sacrifice d'agréable odeur. Le missel traditionnel souligne cette partielle indignité dès le commencement de la messe, par la place qu'il fait prendre aux ministres sacrés : non pas à l'autel, mais au pied des marches, a longe, tel le publicain gardant le regard baissé et se frappant la poitrine (Le 18,13). Cette indignité de l'offrant fait que l'acceptation par Dieu du sacrifice est considérée comme une grâce imméritée, réclamée avec une crainte révérencielle lors de l'Offertoire : « Recevez, Père saint, [...] cette offrande sans tache que moi, votre indigne serviteur, je vous offre [...] pour mes innombrables péchés, offenses et négligences...» (Suscipe sancte Pater). Plus de dix fois, au cours de l'offertoire et du Canon, l'Église s'adresse de la sorte à son Dieu. Or ces demandes d'agrément ne sont plus un élément constitutif du nouveau missel : elles n'apparaissent ni dans la présentation des dons, ni dans la prière eucharistique II. Seules les prières eucharistiques III et IV emploient une fois le mot respice (« regardez »), et encore, seulement après la consécration.

Conscient de la carence de l'offrant, le missel traditionnel y remédie en interposant à chaque instant, entre le célébrant et Dieu, un médiateur principal, Jésus-Christ, et des médiateurs subordonnés, les saints. L'oblation sacrificielle s'appuie d'abord sur la médiation du Christ, omniprésente au cœur de l'action liturgique. Elle est invoquée dès les premiers mots du Canon : « Nous vous prions humblement et vous demandons, par Jésus-Christ votre Fils, notre Seigneur, d'accepter et de bénir ces dons » (Te igitur). Nous la trouvons encore, selon l'interprétation commune[45] dans la solennelle prière d'oblation qui suit la consécration (Supplices te rogamus) : « Nous vous en supplions, Dieu tout-puissant, faites porter ces offrandes par les mains de votre saint Ange, là-haut, sur votre autel, en présence de votre divine Majesté. » Surtout, cette médiation est inscrite dans la trame même du Canon : les prières qui entourent les paroles consécratoires sont bâties sous la forme de cinq oraisons s'achevant toutes avec ces mots : « Par le Christ notre Seigneur ». Or, le nouveau missel a presque supprimé cette médiation du Christ dans l'offrande du Sacrifice, de même que l'intercession des saints. Lorsque le nouveau missel mentionne les saints, c'est exclusivement pour signaler la pleine union que nous aurons avec eux lorsque Dieu nous aura ouvert le Ciel. Les oraisons du sanctoral ont subi un sort analogue, puisque le nouveau missel a supprimé la plupart des deux cents oraisons [46] dans lesquelles le missel traditionnel invoque le mérite des saints. Seules en font encore mention, au cours de l'année liturgique, trois oraisons obligatoires.

Satisfaction et propitiation gommées de la liturgie

En minimisant la médiation du Christ et le recours aux mérites des saints, en ne faisant plus mention de l'indignité des acteurs humains de la liturgie, le nouveau missel laisse entendre que les conséquences du péché ne sont pas un obstacle à l'agrément de l'offrande. Cette méconnaissance des peines dues au péché, et à travers elles de la justice divine, apparaît également à l'analyse des fruits attendus de la messe. Le missel traditionnel implore de Dieu la remise des peines des vivants comme des défunts, de par les mérites et satisfactions de la passion du Christ et les œuvres des saints qui l'achèvent (Col 1, 24). Aux vivants, elle apprend de plus à se conformer à cette même passion (Ga 2, 19). Ces nuances sont presque entièrement absentes du nouveau missel.

Les modifications faites aux oraisons qui ponctuent l'année liturgique sont révélatrices. On n'y prie plus pour être « purifié des taches de ses péchés » ; cette demande, qui apparaît régulièrement dans le missel traditionnel (dix fois par exemple dans le seul sanctoral d'août), n'a été conservée que dans quelques oraisons des messes fériales de carême. Si le missel traditionnel nous fait vénérer saint Raymond de Penafort (23 janvier) comme « ministre admirable du sacrement de pénitence » pour demander la grâce de « porter de dignes fruits de pénitence », l'oraison du nouveau missel laisse de côté ces deux points pour ne parler que de son amour envers les pécheurs. Ce même nouveau missel a cessé de conseiller la méditation de la passion du Christ (saint Paul de la Croix, 28 avril), de rappeler que les Servîtes (12 février) se sont associés aux douleurs de Notre-Dame, de souligner que saint Luc (18 octobre) « n'a jamais cessé de porter dans son corps la mortification de la croix pour la gloire de Dieu », etc. Les lectures bibliques du nouveau missel sont passées au même crible, amenuisant tout ce qui touche à la justice divine. La communion indigne et son châtiment (1 Co 11, 27) ont été supprimés des épîtres eucharistiques. Mais les exemples pourraient être multipliés. L'Évangile du douzième dimanche ordinaire de l'année A omet Mt 10, 28 : « Ne craignez rien de ceux qui tuent le corps mais ne sauraient tuer l'âme ; craignez bien plutôt celui qui peut perdre dans la géhenne à la fois l'âme et le corps ». La deuxième lecture du vingtième dimanche ordinaire de l'année A fait silence sur Rm 11, 19-23, où saint Paul rappelle qu'une infidélité de notre part peut nous attirer un châtiment analogue à celui qui avait frappé Israël, etc.

L'herméneutique appliquée à la liturgie des défunts

La liturgie des défunts omet également de citer les peines dues au péché. Cela apparaît dès l’Institutio generalis Missalis romani de 1969 :

« L'Église offre le sacrifice eucharistique de la Pâque du Christ pour les défunts pour que, en raison de la communion qui unit tous les membres du Christ, ce qui obtient une aide spirituelle pour les uns apporte aux autres la consolation de l'espérance » (IGMR 335). Là où on aurait logiquement attendu l'expression « sacrifice propitiatoire pour le soulagement des peines », nous ne trouvons que « sacrifice eucharistique de la Pâque du Christ » (l'expression se retrouve en IGMR 339) apportant une « aide spirituelle ».

L'Ordo missœ du nouveau missel voile également tout ce qui a trait à la peine que subissent les âmes du purgatoire. Le missel traditionnel, en réclamant pour l'âme défunte le locum refrigerii, laissait clairement entendre les peines qu'elle pouvait éventuellement subir. Les nouvelles prières disent simplement « Reçois-les dans ton Royaume » (prière eucharistique III) ou « dans ta lumière auprès de toi » (prière eucharistique II). La prière eucharistique IV va plus loin, ne demandant rien pour les défunts, les signalant simplement à Dieu par un « Souviens-toi ».

Le même constat doit être fait lorsque l'on compare les messes de funérailles des deux missels. Dans ses oraisons, le missel traditionnel souligne clairement la valeur satisfactoire du sacrifice de la messe, demandant que les âmes des défunts soient délivrées des peines de leurs péchés. Le nouveau missel, pour sa part, insiste sur le bonheur du Ciel et la résurrection. La séquence Dies irœ et l'antienne d'offertoire du missel traditionnel, qui vont dans le sens de la propitiation, ont été supprimées du nouveau missel.

De la liturgie des défunts à l'ordinaire de la messe, des oraisons aux lectures bibliques, tout ce qui, même indirectement, pouvait avoir trait à la peine due au péché a été minimisé, voire supprimé par la réforme liturgique. C'est en ce sens que la dimension propitiatoire a comme disparu du nouveau missel. Ce fait n'est que l'aboutissement logique des exigences de l'herméneutique : les théologiens conciliaires ont relu la liturgie traditionnelle, et, devant l'impossibilité d'en faire admettre au peuple chrétien une réinterprétation idéaliste, ils l'ont fait réformer selon leurs préjugés naturalistes et idéalistes. Dès lors, il est clair que la finalité propitiatoire du sacrifice, rappelée si fermement par le concile de Trente, ne pouvait qu'être délaissée au profit de la louange et de l'action de grâces. La lecture de l’Institutio generalis Missalis romani ne laisse aucun doute à ce sujet : la dimension propitiatoire n'y est jamais mentionnée, tandis que la finalité eucharistique apparaît à maintes reprises (IGMR 2, 7, 48, 54, 55, 62, 259, 335 et 339). Un vocabulaire nouveau s'est d'ailleurs forgé autour de ce renversement de valeurs : on parlera de « célébration eucharistique » (IGMR 4, 5, 6, 24, 43, 48, 56, 59, 60, 66, 101, 253, 260, 280, 282, 283 et 284), de « liturgie eucharistique », de « prière eucharistique », expressions omniprésentes, tandis que le mot « messe » s'efface [47], sans parler de l'expression « sacrifice de la messe », devenue obsolète.

Apparaît alors une nouvelle conception de la messe : celle-ci est moins vécue comme une application de la rédemption, mais davantage comme une liturgie de sauvés - celle du « peuple des rachetés » (Mémento de la prière eucharistique III). Au lieu d'y appliquer, par la médiation du célébrant agissant in persona Christi, les satisfactions et mérites que le Christ a acquis en son sacrifice rédempteur, c'est tout un peuple - « le peuple saint, le peuple acquis de Dieu, le sacerdoce royal » (IGMR 62) - qui, dans l'action de grâces, célèbre une rédemption déjà pleinement accomplie (IGMR 54).

Mais avec la liturgie, c'est aussi la catéchèse qui a été purifiée du pessimisme obsolète selon les règles de l'herméneutique transcendantale.

Rédemption et propitiation dans la nouvelle catéchèse

Le Livre de la foi, catéchèse collective des évêques de Belgique (Desclée, 1987), vide la rédemption de sa première dimension : l'expiation des péchés, due à Dieu en justice :

La mort et la résurrection du Seigneur sont le fondement de notre salut. En supportant son humiliation extrême, Jésus prouve son amour sans limite pour les hommes et son obéissance sans faille envers le Père qui l'a envoyé. Souvent la mort de Jésus est vue comme un drame en soi. On imagine alors Dieu comme celui qui envoie son Fils à la mort. L'attention se porte sur l'horreur de la crucifixion plus que sur l'amour vécu par Jésus. Or ce n'est pas la mort de Jésus qui nous sauve : c'est son amour inconditionnel, dont la mort est la manifestation [p. 41].

La caricature de l'expiation permet son élimination. Et le mystère de la souffrance, vidé de son contenu, devient un pur symbole d'amour, d'un amour sans finalité ni mode d'action défini : une sorte d'amour pur. On trouve le même procédé sous la plume de Gérard Huyghe, évêque d'Arras, dans la catéchèse collective de l'épiscopat français de l'année 1978 [48] :

Il ne faut pas se tromper de porte pour entrer dans le mystère de la souffrance de Jésus. On présente quelquefois ce mystère comme une simple [et affreuse] démarche juridique. Dieu (le Père !) ayant subi par le péché de l'homme une offense infinie (pourquoi ?) n'aurait accepté de pardonner à l'homme qu'après une « satisfaction » (quel mot horrible) infinie [et l'auteur de citer Joseph Ratzinger comme nous l'avons fait : Dieu pourrait-il exiger en justice le sacrifice de son propre Fils ?]. Dieu ne veut la mort de personne, ni comme châtiment, ni comme moyen de rachat. Que la mort soit entrée dans le monde par le péché, ce n'est pas le fait de Dieu.

Il n'y a qu'une seule porte et, pour l'ouvrir, une seule clef : l'amour. Ainsi pouvons-nous écarter toute explication de la passion où le Christ ne serait pas profondément solidaire de la condition humaine [...], avec la condition de l'homme malheureux. [...] Cet amour rejoint l'homme, tout homme quel qu'il soit, fût-il bourreau, et change radicalement sa destinée. Si l'on ne prend pas la clef de l'amour, on heurte le sens juste, la sensibilité droite et spontanée. Comment pourrait-on s'ouvrir à un Dieu qui n'est pas un Père, un Dieu qui n'aime pas, un Moloch qui attend sa ration de sang, de souffrances et de victimes ?

Une fois éliminées du sacrifice de la croix l'expiation et la satisfaction, que fait la catéchèse de la propitiation dans le sacrifice de la messe ?

[...] Jésus-Christ était l'agneau pascal. [...] Son sang est le «sang de la nouvelle Alliance» conclue entre Dieu et toute l'humanité. [...] « Faites ceci en mémoire de moi », dit Jésus. Il ne s'agit plus de faire mémoire de la délivrance d'Égypte, mais de la délivrance du péché [p. 112-113]. [...] « Il prit le pain ». [...] Ce geste de rompre est plus qu'une nécessité pratique. Il est le signe du don que Jésus fait de lui-même dans sa passion : il a été brisé par la souffrance à cause de nos fautes. Le prophète Isaïe l'avait annoncé [Is 53, 4-5] [Le Livre de la foi, p. 113].

Tout ceci est exact, mais on y fait silence sur l'acte de justice du Christ, acte qui en premier lieu, délivre les hommes du péché, de la faute et de la peine : les chrétiens ne doivent rien savoir de ce mystère. On nous dit bien que « le mémorial eucharistique actualise et rend sacramentellement présent le sacrifice unique du Christ sur la croix » mais avec sa résurrection, et sans qu'il soit question d'une quelconque propitiation ou conciliation de Dieu (p. 117).

Plus anciennement, Le Livre des sacrements du Centre Jean-Bart à Paris (Centurion, 1974) expose ainsi « l'eucharistie, sacrifice du Christ » :

Sacrifice : mot lugubre quand on ne retient que l'idée de privation. Mais le sacrifice n'est pas dans la privation, il est dans le don. « Qui garde sa vie la perd, qui donne sa vie la trouve ! » La privation engendre la tristesse ; le don fait naître la joie, il fait vivre la communion [p. 61].

Et la tristesse « jusqu'à en mourir » de Jésus dans sa passion ?

Sacré et sacrifice, deux mots frères : l'un vient de l'autre. Il est un sacré qui écrase l'homme, il est un sacré qui le grandit et le libère. Et le Christ par son sacrifice est venu pour nous libérer à jamais du sacré de terreur et pour nous révéler un Dieu Père... [p. 61].

Isaïe n'avait-il pas prophétisé de Jésus : « Il a plu au Seigneur de le briser par la souffrance, mais quand son âme aura offert le sacrifice expiatoire, il verra une postérité » (Is 53, 10) ? Bien sûr, l'âme ou la forme de cette expiation sont la charité et l'obéissance du Christ, mais la matière en est bel et bien l'écrasement physique et moral du Sauveur. Une forme sans matière, c'est de l'idéalisme. Un sacrifice désincarné, c'est une religion sans justice. Un amour qui se donne gratuitement sans motif, c'est de l'existentialisme tout pur. Une charité sans objet défini et sans but précis, c'est l'amour kantien. C'est cela, la nouvelle catéchèse : le christianisme réinterprété au goût de la philosophie « moderne ».

Le Catéchisme de l'Église catholique publié en 1992 semble retourner au contraire au langage traditionnel. Dans un premier temps, il parle de « la mort rédemptrice du Christ » (n° 599), du « mystère de la rédemption universelle, c'est-à-dire du rachat qui libère les hommes de l'esclavage du péché », du « Christ mort pour nos péchés selon les Écritures » (n° 601 ) et « solidaire de nous, pécheurs » et « livré par Dieu pour nous tous » (Rm 8, 32) pour que nous « soyons "réconciliés" avec Lui par la mort de son Fils (Rm 5, 10) » (n° 603). Jusque-là aucun mot n'a échappé au contrôle de l'herméneutique la plus soigneuse.

Puis, brusquement, dans les pages qui suivent, ce contrôle est levé et le langage se libère des tabous d'un modernisme par trop rigoureux : on nous parle de Dieu « qui nous a aimés et qui a envoyé son Fils en victime de propitiation pour nos péchés » (1 Jn 4, 10) afin de « donner sa vie en rançon pour la multitude » (Mt 20, 28) (n° 604-605) ; de l'Agneau qui « porte les péchés des multitudes » (Is 53, 12) (n° 608) ; de Jésus qui « substitue son obéissance à notre désobéissance », « offre sa vie en sacrifice expiatoire » (Isaïe), qui « a réparé pour nos fautes et satisfait au Père pour nos péchés» (voir le concile de Trente, DS 1529) (n°615); de « l'amour jusqu'à la fin » de Jésus, qui « confère sa valeur de rédemption et de réparation, d'expiation et de satisfaction au sacrifice du Christ » (n° 616).

Pourtant, nulle part il n'est parlé de l'offense faite à Dieu par le péché et du devoir, en justice, d'offrir une réparation condigne ; les mots énumérés sans âme : réparation, expiation, satisfaction, ne sont pas expliqués. Rien n'empêche de les entendre comme la réparation de l'homme sans rapport avec l'ordre dû et le droit qu'y a Dieu. Même la tentative de définition de la satisfaction est boiteuse : « Aucun homme, fût-il le plus saint, n'était en mesure de prendre sur lui les péchés de tous les hommes et de s'offrir en sacrifice pour tous » (n°616). Dans « la Personne divine du Fils », le Catéchisme de l'Église catholique ne voit pas la dignité infinie de cette Personne et donc de sa satisfaction, mais seulement son caractère de « tête de toute l'humanité [49] ». Décidément, la justice divine et ses exigences sont tues par le Catéchisme.

De même, le caractère propitiatoire du sacrifice de la messe n'est pas exposé de façon suffisante par la seule citation d'une catéchèse mystagogique de saint Cyrille de Jérusalem, aussi belle soit-elle, sur la messe :

En présentant à Dieu nos supplications pour ceux qui se sont endormis, fussent-ils pécheurs, nous [...] présentons le Christ immolé pour nos péchés, rendant propice, pour eux et pour nous, le Dieu ami des hommes [n° 1371].

L'oreille catholique entend : Dieu offensé par nos péchés nous est rendu propice par la satisfaction que lui offre son divin Fils incarné, à notre place, en justice. Mais l'oreille idéaliste entend un autre son de cloche : Dieu toujours ami des hommes et qu'aucune offense ne peut atteindre est fait propice aux hommes par l'acte de charité du Christ se donnant à nous pour que nous soyons purifiés de nos péchés (acte que la messe présente à nouveau à Dieu).

Herméneutique et aggiomamento

Et nulle part n'est exposé comment l'acte de charité du Christ opère la libération des hommes de leurs péchés. Comme une cause morale ? Comme une satisfaction ? Un mérite ? Une cause efficiente ? On ne sait, on reste dans le vague. Pourquoi ? Parce que ces notions de la philosophie pérenne et de la théologie scolastique sont considérées comme des schémas érodés, inopérants à expliquer la foi à l'homme moderne. Tel était bien l'avis du théologien conciliaire Joseph Ratzinger :

Après que le pape Jean XXIII eût convoqué le Concile et l'eût mis en mouvement, avec la consigne de faire un bond en avant et de mener la foi à un aggiomamento, de la réimplanter au cœur du monde d'aujourd'hui, les pères du Concile eurent la très forte volonté d'oser vraiment quelque chose de nouveau, de sortir du schéma scolaire érodé, et d'oser aussi une nouvelle liberté. [...]

J'étais d'avis, c'est vrai, que la théologie scolastique, telle qu'elle s'était fixée, n'était plus l'instrument adéquat pour ramener la foi dans les préoccupations de notre époque. La foi doit sortir de cette armure, elle doit aussi affronter la situation du temps présent avec un nouveau langage [...][50]

L'homme moderne est évidemment préoccupé davantage de la justice envers lui-même que de la justice envers Dieu, plus intéressé aux droits de sa personne qu'aux droits de l'ordre divin, plus soucieux de son auto-accomplissement que de sa finalité, son ordination à Dieu comme à sa fin ultime. La philosophie spontanée de l'homme moderne est la philosophie idéaliste, elle n'est plus ni la philosophie du sens commun ni la philosophie chrétienne. Dès lors, pour faire entendre la foi à l'homme moderne, l'Église devait-elle, pouvait-elle couler cette foi dans le moule de la pensée « du monde d'aujourd'hui » ? Telle fut la question dramatique de l'intention du Concile de 1962.

En ce qui concerne la question du langage, on pourrait soit user d'un langage nouveau pour tâcher d'exprimer en lui les vérités anciennes, soit user du langage ancien en un sens nouveau acceptable à l'homme moderne. Le second procédé ne serait pas malhonnête mais justifié par l'herméneutique : on pourrait garder les termes de rachat et de satisfaction, par exemple, en en écartant le fantôme de la justice vengeresse de Dieu ou d'une expiation offerte en justice à Dieu son Père par le Christ à notre place. En effet, ce spectre de justice n'étant pas conforme à la sensibilité de l'homme moderne, on doit juger aujourd'hui qu'il est un de ces errements circonstanciels dont a été revêtu accidentellement l'enseignement passé de l'Église. L'herméneutique autorise à nettoyer la doctrine du passé de ses impasses justicières pour en dégager les pures avenues constantes de l'amour transcendantal et du don de soi idéaliste.


[1] — « Pour nous et pour notre salut », Credo de Nicée-Constantinople, 4e siècle.

[2] — « La publication des Œuvres complètes de Joseph Ratzinger-Benoît XVI a commencé et devrait s'achever dans six ans, y compris avec une traduction en italien. » (ZENIT.org, Mercredi 22 octobre 2008.) — Le découpage a été décidé par le pape en personne, de même que l'articulation interne de chaque volume. (http://chiesa.espresso.repubblica.it/articolo/208933?fr=y.)

[3] — J. RATZINGER, La Foi chrétienne hier et aujourd'hui, Cerf, 2005 (réédition sans changement de la lere édition de 1968). Ce livre contient les cours du jeune professeur de théologie de Tubingen de l'année 1967.

[4] — Dieu n'éprouve pas formellement la passion de colère, car il est un pur esprit. Mais il produit des effets qui, chez nous, sont l'effet de la colère, par exemple lorsqu'il punit.

[5] — Joseph Ratzinger, La Foi chrétienne hier et aujourd'hui, Cerf, 2005, p. 197-198.

[6] — Joseph Ratzinger, La Foi chrétienne hier et aujourd'hui, Cerf, 2005, p. 198-199.

[7] — Les sacrifices païens ont seulement détourné le sacrifice de sa fin propitiatoire pour en faire une invocation au diable.

[8] — Dom Paul DELATTE O.S.B., Les Épîtres de saint Paul replacées dans le milieu historique des Actes des Apôtres, T. 1, Marne, Tours, 1938, p. 438.

[9] — Joseph Ratzinger, La Foi chrétienne hier et aujourd'hui, Cerf, 2005, p. 199.

[10] — Voir Jacques mantoy, Précis d'histoire de la philosophie, éd. de l'École, 1951, rééd. 1981, §78.

[11] — [C'est-à-dire d'expiation par une victime qui est substituée au pécheur, ce que la théologie appelle la satisfaction vicaire et qui n'est réellement faite que par le Christ.]

[12] — C'est nous qui soulignons (NDLR.)

[13] — G. lacouague S.J., Notre Dame de nos prières, Marne, 1962, p. 70-71.

[14] — Voir Cardinal Ratzinger, Le Sel de la Terre, Flammarion/Cerf, 1997, p. 60.

[15] — III, q. 48, a. 3.

[16] — 111, q. 1, a. 2, ad 2., 2e objection et ad 2. Joseph Ratzinger ne cite pas saint Thomas, mais il critique la source de saint Thomas, saint Anselme, ce qui revient au même, et dont la doctrine « sous la forme schématisée que la conscience chrétienne commune » s'en est créée, lui « apparaît vraiment comme un mécanisme cruel, que nous avons de plus en plus de mal à admettre » (La Foi chrétienne hier et aujourd'hui, p. 156). L'herméneutique exige donc la révision et la réforme de la satisfaction du Christ.

[17] — III, q. l,a. 2, ad 2.

[18] — III, q. 48, a. 2.

[19] — III, q. 46, a. I,ad3.

[20] — Sainte mechtilde, Le Livre de la grâce spéciale, lere partie, ch. 8, cité par Dom Marmion, Le Christ dans ses mystères, p. 164.

[21] — Joseph Ratzinger, La Foi chrétienne hier et aujourd'hui, p. 199.

[22] — Joseph RATZINGER, La Foi chrétienne hier et aujourd'hui, p. 197-198.

[23] — Joseph RATZINGER, La Foi chrétienne hier et aujourd'hui, p. 202.

[24] — Saint Thomas explique que la passion du Christ « efface » le peché de trois manières : par mode de provocation a ('amour, par mode de rachat (rançon) et par mode d'efficience (causalité instrumentale) (III, q. 49, a. 1).

[25]Ipse autem vulneratus est propter iniquitates nostras, attritus est propter scelera nostra ; disciplinapacis nostrœ super eum et livore ejus sanati sumus. (Is 53, 5).

[26] — Voir Louis hardy, La Doctrine de la rédemption chez saint Thomas, DDB, Paris, 1936, p. 250.

[27] — Saint Thomas caractérise ainsi l'offense faite par l'homme qui commet un péché mortel : « In re temporali fìnem sibi constitua [...] ex hoc ipso, quantum ad effectum suum, prœponit creaturam creatori, diligendo plus creaturam quam creatorem (dans le domaine temporel, il se constitue sa propre fin du fait que, quant à l'effet, il préfère la créature au Créateur, aimant plus la créature que le Créateur. » (De Veritate, q. 28, a. 2).

[28] — ARISTOTE, Éthique à Nicomaque, livre V, ch. 11, a.9, [XI, 9, Bk 1138 b5]. Voir saint THOMAS, Commentaire de l'éthique à Nicomaque, 1. XVII, n° 1106-1107.

[29] — Louis Hardy, La Doctrine de la rédemption chez saint Thomas, p. 256.

[30] — Opuscule De rationibus Fidei, ch. 7.

[31] — III, q. 86, a. 4.

[32]CG, L. III, ch. 144.

[33] — Voir Édouard HuGON O.P., Le Mystère de la rédemption, 6e édition, Téqui, Paris, 1927, p. 271.

[34] — Cet exemple ne serait plus accepté aujourd'hui dans la physique moderne. On pourrait le remplacer par celui-ci : une balle tombant de plus haut sur le sol rebondira plus haut.

[35] — I-II, q. 87, a. 1.

[36] — Joseph ratzinger, La Foi chrétienne hier et aujourd'hui, p. 197.

[37] — Mgr lefebvre, Itinéraire spirituel, Écône, 1990, p. 64-65.

[38] — Mgr lefebvre, Itinéraire spirituel, Écône, 1990, p. 65.

[39] — Mgr lefebvre, Itinéraire spirituel, Écône, 1990, p. 65-66.

[40] — Joseph RATZINGER, La Foi chrétienne hier et aujourd'hui, p. 203.

[41] — Joseph Ratzinger appelle le sacrifice « adoration ». (NDLR.)

[42] — Voir Fideliter n° 86, mars-avril 1992, p. 58-75.

[43] — DC, 20 octobre 1969; n° 1538, col. 1372. Ce texte a été cite par Mgr Marcel LEFEBVRE dans une conférence spirituelle a Écône le 25 juin 1981. Voir Mgr Marcel LEFEBVRE, La Messe de toujours, Clovis, 2005, p. 311.

[44] — IGMR : Institutio generalis Missalis romani, édition de 1969.

[45] — Pierre LE Brun, Explication de la messe, collection Lex orandi, Cerf, Paris, 1949, p. 463.

[46] — Voir Placide BRUYLANTS, Les oraisons du missel romain, Mont-César, 1952, vol. I, index verborum (Bruylants était membre du Consilium de liturgie, l'organe qui a préparé la réforme liturgique postconciliaire).

[47] — Voir L.-M. RENIER, Exsultet, encyclopédie pratique de la liturgie, CNPL, 2000, p. 136.

[48]Des Évêques disent la foi de l'Église, Paris, Cerf, 1978, p. 229-230.

[49] — Capable par conséquent d'offrir « un sacrifice rédempteur pour tous ». C'est exact, mais c'est le côté seulement quantitatif de l'application du sacrifice du Christ à tous les hommes, et non son aspect qualitatif, apte à faire justice à Dieu, qui est retenu. L'anthropocentrisme de la rédemption efface son théocentrisme.

[50] — Cardinal Ratzinger, Le Sel de la terre, Flammarion/Cerf, 1997, p. 73.